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Nr.0071

An Marg. Guillot

Samedi, Mars 1846.

Je vous envoie, ma pauvre fille, votre livre et vous en remercie bien; quand j'oublie une chose, ne craignez pas de me la rappeler. C'est un remède à la négligence que je vous ai chargé de détruire, et puis sans compliments. Maintenant le soleil est donc éclipsé, et mille tempêtes éclatent sur ce pauvre roseau, hélas! Que Jésus qui n'est pas venu pour briser le roseau à demi cassé le soutienne, s'il permet que le vent l'agite, le courbe vers la terre; qu'il relève bientôt sa tête vers le ciel... Ecoutez-moi, ma fille, le démon aussi tenta le divin Maître et lui apparut sous diverses formes, il fit plus, il eut la hardiesse de le porter, et Jésus le laissait faire; mais sans perdre son calme, et sans recourir aux miracles, il le terrassa par quelques paroles. Après avoir accompagné Jésus au Thabor, aux Olives, sur le Calvaire, il faut encore partager ses tentations; mais soyez toute confiante: Jésus est en face des démons, il modère leur fureur, il est en vous pour combattre avec vous. C'est vrai, le démon n'est pas seul, mais l'imagination, le coeur, le corps, tout se ligue avec lui contre cette pauvre âme; ne vous tourmentez pas; dans un moment d'émeute populaire, c'est inutile de raisonner, de crier pour l'apaiser, le meilleur c'est de les laisser crier seuls, ils seront bientôt las, puis honteux. Le démon est moins à craindre quand il tente d'une manière sensible. Allons! après la première frayeur, rassurez-vous et tenez vous toute petite sur le coeur du divin Maître comme les petits enfants sur le sein de leur mère quand ils ont peur. Je vous dis maintenant que je prends sur moi le péché, s'il y en a eu; c'est une tentation, voilà tout; vous me direz: mais les effets ont été sensibles; n'importe, l'âme était à Dieu. Ecoutez St Paul: " Qui me délivrera de ce corps de péché, de ce corps de mort? La grâce de Dieu".

Vous pouvez communier, si vous le pouvez, et si vous le faites, vous comprendrez que tout cela n'était qu'une tempête.

Que Jésus, Marie, et St Joseph vous consolent.

A Mademoiselle Guillot Marguerite, Lyon.


Nr.0072

An Marg. Guillot

Jeudi Saint, 9 Avril 1846.

Je viens me débarrasser de vous, ma fille, en vous écrivant ces quelques lignes. J'ai du regret, mardi, de ne vous avoir pas donné la permission pour Jeudi soir de tenir compagnie au Bon Maître si seul, si triste, si souffrant dans sa grotte des Olives. Je vous la donne de bon coeur et voudrais pouvoir moi aussi y aller avec vous. Puis le jour de Pâques arrive, ce beau jour qui sèche toutes larmes, et nous rend Jésus si beau et si aimable; il faut bien aussi que je vous rende belle à ce bon Père, et que je vous donne un bouquet pour sa tendre Mère. Eh bien! le voici: je vous permets bien de vous consacrer à la toute pure et aimable Marie par un voeu spécial, l'établissant la dépositaire, la caution, votre Maîtresse de novice en un mot; certes, ma pauvre fille, est-ce que je puis vous en donner une meilleure ? Oh! que vous êtes heureuse! il y a bien de quoi pleurer de joie, Notre-Seigneur sera si content de faire passer ses grâces par le coeur de Marie, de vous parler et de se montrer à vous à travers le coeur de Marie, et par ce voeu vous irez à Jésus par Marie, vous aimerez Jésus entre les bras de Marie. Et quand cet aimable Sauveur daignera vous appeler au pied de sa croix, vous y trouverez Marie à ses pieds. Elle est votre Mère déjà, elle le sera doublement; oh! il me semble que ce voeu de saint esclavage va vous valoir bien de grâces et d'amour.

Bien entendu, quand on se voue ainsi à la Reine du Ciel et de la terre, c'est pour toujours. Oh! s'il vous plaît, vous lui direz aussi que je suis son pauvre fils.

Allons! vous direz dimanche :"Je suis morte, mais ma vie est cachée avec Jésus et Marie en Dieu".

Que je vous dise deux mots de mon homme; ce matin, à dix heures, il a eu le bonheur de faire sa Première Communion; il était heureux, et je crois que le bon Dieu a été content de ses dispositions. La femme était à côté de lui; il m'a dit qu'il prierait bien pour les personnes si charitables qui lui ont fait tant de bien. Maintenant, je vais lui chercher une place.Tout à vous en N. S.

P.S.. J'ai promis une neuvaine à la Sainte Vierge à une mère pour la guérison de son enfant, en récompense d'un sacrifice qu'elle m'a promis de faire. Veuillez la faire.

A Mademoiselle Marguerite Guillot,

Place Bellecour, Façade du Rhône, N. 9

Lyon.


Nr.0073

An Marg. Guillot

Samedi Saint, 11 Avril 1846.

Je viens compléter ma lettre et la permission. Le voeu, c'est bien, mais en quoi ? voilà, je pense, ce que vous attendez; je viens vous le dire, afin que votre offrande soit bien appréciée.

Je vous avais dit qu'il fallait prendre la Sainte Vierge pour caution, pour Maîtresse; mais plus que cela, car vous l'aviez fait: c'est de la prendre pour modèle et pour Règle des voeux que vous avez faits, afin de lui ressembler, et, par cette bonne Mère, à Jésus son divin Fils dont elle est la copie parfaite, imitant ainsi Jésus dans Marie. Et afin que ce voeu ait un objet particulier, faites voeu d'imiter la simplicité de Marie dans votre costume et vos habits, selon que le réglera l'obéissance; ainsi, lorsqu'il s'agira d'acheter quelque chose à votre choix, vous n'achèterez pas de la soie; ceci ne s'entend que pour les vêtements. Quand il y aura un achat commun entre toutes vos soeurs, si vous ne pouvez pas faire autrement, alors vous pourrez faire comme elles; mais vive la modeste et commune simplicité de Marie!

Devenez une vraie fille de Marie, et vivez dans son coeur bien plus que dans le vôtre; vous trouverez dans ce coeur virginal et si pur le Coeur adorable de Jésus, trois coeur dans un. Vous savez bien que ce n'est que là que je veux vous trouver et que vous me trouverez.

Demain, vous sécherez vos larmes; oh! quand viendra le jour de notre complète résurrection aussi! hélas! que la mort enlève par petites parcelles ces chaînes de notre mortalité! oui, il faudra peut-être une longue mort de chaque jour pour arriver à ce grand jour de vie éternelle d'amour.

Enfin, que Dieu soir béni! mais que mon coeur est froid et qu'il souffre de l'être! Vous me dites si souvent de l'aimer pour vous; mais je vous renvoie la flèche et la flamme pour son coeur divin; car hélas! il me semble que je n'ai pas la force de la lui lancer.

Enfin, Dieu soit béni de tout! pourvu qu'un jour je l'aime bien, que je vive et meure en l'aimant! Mais vous allez dire, pourquoi je ? eh bien ! nous, soit... quelle lettre ! c'est vrai, mon âme est triste. Demain peut-être, le Bon Maître se montrera à elle.

A Mademoiselle Marguerite Guillot,

Place Bellecour, Façade du Rhône, N. 9

Lyon.


Nr.0074

An Marianne Eymard

Lyon, 7 Mai 1846.

MES BIENS CHERES SOEURS,

J'allais vous écrire quand j'ai reçu votre bonne lettre; je savais que vous vous portiez bien par plusieurs personnes que j'avais vues de temps en temps de La Mure, et c'est ce qui me tranquillisait un peu sur vous.

Je vous remercie des bonnes nouvelles que vous me donnez de mon cher pays que j'aime toujours, et si le Bon Dieu le veut, j'irai vous voir, mais pas encore, parce que nous avons beaucoup à faire en ce moment. Ce sera un grand plaisir pour moi, car je dédommagerai de vive voix de la brièveté d'une lettre.

Je me porte bien; que le Bon Dieu en soit béni! Je ne vous donne point de nouvelles de Lyon, où le commerce va mal. Ah! mes soeurs, que de familles malheureuses au sein de ces grandes villes; que de misères, que de corruption, que d'iniquités! Vous êtes mille fois plus heureuses, même avec vos embarras, dans notre petit pays, que dans une ville où les choses sont si variables.

Cependant, il faut bien le dire, il y a de belles âmes à Lyon, on y aime bien la Sainte Vierge, c'est admirable ce que l'on fait pour elle. Un jour où je serai plus libre, je vous le détaillerai; aujourd'hui ce n'est qu'un bonjour, et de bon matin, à quatre heures et quart.

Adieu en Notre-Seigneur; la cloche m'appelle à la méditation, et je vais bien prier pour vous. Je le fais d'ailleurs toujours, car votre souvenir m'est toujours présent, et le Bon Dieu sait tout ce que je lui demande pour vous.

Tout à vous en N.S.

EYMARD, p.s.m.

Mademoiselle,

Mademoiselle Marianne Eymard, rue du Breuil,

à La Mure (Isère).

Nr.0075

An Marianne Eymard

Lyon, 27 Mai 1846.

MES BIENS CHERES SOEURS,

Je viens vous donner de mes nouvelles puisque vous aimez tant à en recevoir. Je le comprends, vous m'affectionnez et peut-être trop; c'est le cas de dire, c'est en Dieu et pour Dieu, parce que l'homme ne le mérite pas.

J'ai eu souvent de vos nouvelles par différentes personnes, et je remercie bien le Bon Dieu de ce que vous allez toujours à peu près, et lui demande que vous alliez bien et très bien.

Je vous ai envoyé une petit livre par Mlle Reynier; je souhaite qu'il vous fasse plaisir. Vous auriez mieux aimé que j'aille vous le porter, et s'il était permis à un religieux d'avoir une volonté, moi aussi je serais content d'aller vous le porter et vous voir; et puis de chez vous aller voir la bonne Notre-Dame du Laus. Oh! que je le désire ce beau pays du Laus où la Sainte Vierge m'a fait tant de grâces! Que j'aimerais y passer huit jours aux pieds de cette bonne Mère! Mon coeur, à son souvenir, pleure de reconnaissance et de désir! Quand le Bon Dieu voudra, j'irai; aussi, patience et toujours union en son saint amour.

Je viens aussi vous parler d'une chose importante et que la Providence divine vous a peut-être ménagée. La voici. Une société de braves gens s'est formée à Lyon, pour la fonte du fer. Le but de cette société a été de donner aux âmes pieuses, et surtout à ceux qui avaient éprouvé des pertes dans toutes ces faillites qui ont ruiné tant de familles, un moyen d'augmenter leurs petits revenus, en leur offrant des actions de cinq cents francs, de sorte qu'une personne qui prend une ou plusieurs actions a d'abord hypothèque sur des fonds immeubles en garantie de la somme versée, puis assurance du cinq pour cent d'intérêt; ensuite, une part aux bénéfices de la société, qui peut être du quinze au vingt pour cent. De sorte que cinq cents francs peuvent vous donner le revenu de vingt-cinq francs d'abord d'intérêt, puis cinquante ou soixante-dix francs de bénéfices, et si vous aviez deux ou trois mille francs, vous auriez de petites rentes.

Je n'entre pas dans le détail de toute l'affaire, ce serait trop long; puis, qu'il vous suffise de vous dire qu'on l'a examinée et fait examiner par des hommes habiles, et on dit que c'est une bonne affaire. Vous me direz peut-être: Mais comment tout le monde ne s'y jette-t-il pas? C'est qu'elle n'est pas encore bien connue; on l'a fait exprès, afin que les âmes pieuses puissent prendre des actions avant que les gros capitalistes ne s'en emparent. Je n'ai pas de conseils à vous donner, sans doute, mais je désirerais tant que vous n'eussiez pas tant d'embarras, et puissiez vivre plus tranquilles! Vous pourriez, il me semble, y placer l'argent que vous avez chez Mr Reymond, quand bien même le billet ne serait pas à terme. Si le champ qui vous donne tant d'embarras et si peu de profit était vendu, il vous rendrait, placé ainsi, dix fois plus. Examinez cela, faites une neuvaine à sainte Anne, qui en est la patronne, puis écrivez-moi ce que vous en pensez; le temps passe, mais je prierai ces Messieurs de me réserver pour vous, conditionnellement, quelques actions, car cela ne va durer qu'une dizaine de jours pour prendre les actions de 500 francs. On m'assure qu'il n'y a rien a craindre.

Adieu, je vous embrasse dans les SS. Coeurs de Jésus et de Marie.

Votre frère.

EYMARD.

Mes respects, s. v. p, au bon Mr le Curé, à Mr Rabilloux et à son joyeux confrère, et surtout à la famille Fayolle.

Mademoiselle,

Mademoiselle Marianne Eymard, rue du Breuil,

à La Mure (Isère).


Nr.0076

An Marg. Guillot

Saint-Etienne, 30 Mai 1846.

Soyez parfaite comme cotre Père céleste est parfait! Que Jésus soit votre voie, votre vérité et votre vie! qu'il vive en vous! voilà, ma fille, mon voeu et mon désir : c'est vous dire que je consens à vos désirs et à votre voeu, et cela volontiers, et bien librement. C'est vrai, j'ai un peu hésité, il le fallait: il faut bien s'assurer si c'est la volonté de Dieu; eh bien! que sa sainte volonté soit faite, cette divine volonté que St Paul appelle bonne, bienveillante et parfaite. Vous ferez donc ce voeu absolu et perpétuel. Que le divin Jésus l'agrée dans son amour, qu'il le bénisse, qu'il le couronne de sa grâce! Que Marie, notre bonne Mère, en soit la gardienne et la caution, et le bon St Joseph le Protecteur et le tuteur. Vous le ferez avec cette condition, (ainsi que le réglera l'obéissance); de sorte que l'obéissance en sera la règle, et par ce moyen, il n'y aura pas à craindre l'illusion, ni les troubles et les embarras de conscience.

Adieu, ma fille; restez toujours seule avec le divin Maître. Je sous offre à lui comme sa victime d'holocauste.

Puissions-nous être consumés de son amour et pour sa gloire!

EYMARD.

A Mademoiselle Marguerite Guillot,

Place Bellecour, Façade du Rhône, N. 9

Lyon.


Nr.0077

An einen Maristenpater

Nota: Son contenu laisse à entendre que le Père était alors Provincial. La lettre serait donc du 22 juillet 1845 ou 1846.

Lyon 22 juillet

Bien cher Père,

Je pense qu'après mûr examen, il convient que Mr Ducorneau aille voir sa mère à Bordeaux et parte le plus tôt possible.

J'ai été bien édifié de votre lettre, mais je ne savais rien de la chose, l'aurais-je su, je ne vous aurais grondé que dans le cas où vous ne dormiriez pas -

(inachevé et sans signature)

/En bas, à droite, verticalement: "Mr Foulon, prêtre interdit à Alger se conf. où voir à qui"


Nr.0078

An Marianne Eymard

Lyon, 25 Août 1846.

MES BIEN CHERES SOEURS,

Je voulais vous écrire, et toujours mille choses me faisaient différer à un jour plus calme et plus libre; enfin, il faut que je vous écrive encore à la hâte aujourd'hui, et encore avec un vilain mal de dents qui me fait expier mes péchés de gourmandise depuis dix jours. Dieu en soit béni!

Sauf ce mal de dents, je vais bien, et j'en ai besoin, car le Supérieur Général étant absent depuis un mois, tout me retombe dessus, mais le Bon Dieu aide.

Vous pensez bien que je n'oublie pas La Mure et les soeurs. Si j'étais libre, j'irais vite vous voir et respirer le bon air des montagnes; mais pour le moment le Bon Dieu ne le veut pas, nous verrons plus tard.

Ménagez-vous et donnez-moi de vos nouvelles; vous êtes aussi un peu paresseuses pour écrire, vous me punissez par où j'ai péché. Je vous assure que Mr Clavel, porteur de ma lettre, est un jeune homme charmant, bien sage et religieux; partout où il est resté ici, on a été enchanté de lui.

Je vous laisse entre les bras de Marie et suis, avec une tendre affection,

Votre frère en J. et M.

EYMARD, p. s. m.


Nr.0079

An Marianne Eymard

Lyon, 13 Décembre 1846.

BIEN CHERES SOEURS,

Je ne sais presque comment commencer ma lettre, s'il faut m'excuser ou demander grâce pour un si long retard. Ce n'est pas le coeur qui a fait défaut, non, car, tous les matins, je me disais: Aujourd'hui je vais écrire à ces bonnes soeurs; puis, attendant toujours un moment tranquille et libre, j'arrivais au soir avec mes prières à faire, et le lendemain je recommençais avec ma résolution; et voilà près de trois mois que je fais de même. Enfin, aujourd'hui je me fâche contre moi-même et me voici à l'oeuvre. Il faut bien dire aussi que je croyais pouvoir aller moi-même vous donner de mes nouvelles, mais des affaires toujours nouvelles me retenaient. S'il ne faisait pas si froid, je partirais bien, mais je ne sais pas le temps qu'il fait à La Mure, mais il est bien vif ici.

Commençons par moi. Je vais bien à présent. Donc vous avez été malade? oui, mais d'un mal qu'on ne plaint pas, du mal de dents; c'était une névralgie, et je l'ai gardée encore bien longtemps: triste mal, qui vous fait tout oublier et tout négliger.

Votre belle lettre du mois d'octobre sur l'apparition de la Sainte Vierge nous a fait à tous un grand plaisir; elle a été, je crois, la première nouvelle à Lyon; en quelques jours tout Lyon ne parlait que de cela. Et de tous côtés, on ne s'occupe que de la Salette, et à Paris, et à Marseille, et en Savoie, et partout, en général, cela a produit un bon effet. Cependant les mauvais s'en moquent, comme on se moquait des menaces et des prophéties de Notre-Seigneur. C'est qu'aujourd'hui il y a si peu de foi! Vive encore La Mure et nos campagnes! m'écrivait Mr Dumolard, nos mathaisins en valent encore bien d'autres.

Je pense que, comme on abuse de tout, on a dû faire bien des commentaires, après, sur l'apparition de la Sainte Vierge, et que peut-être même les méchants l'ont fait exprès. Pour moi et nos Pères, nous avons cru la chose; car si le ciel est irrité, ce n'est pas étonnant: il y a tant de mal! Les hommes perdent la foi, les femmes perdent la piété qui fait cependant toute leur gloire et leur bonheur; la jeunesse est vieille par ses vices et fait rougir les vieillards impies, mais moins mauvais qu'elle. Puis, quel remède invoquer pour guérir tant de misères? On n'en sait rien; on dirait qu'il n'y a plus que les châtiments du ciel qui puissent ramener l'homme à la foi et à la crainte de Dieu. Aussi, mes pauvres soeurs, le ciel commence-t-il; car, de tous côtés, ce ne sont que misères, calamités, désastres; et puis, ce n'est pas fini.

Mettons toujours bien notre confiance en Dieu, car il est Père et il a besoin de ses enfants. C'est cette pensée qui me console sur vous, car je dis souvent, tous les matins, à la sainte Messe: Mon Dieu, souvenez-vous de mes deux soeurs et soyez-leur un tendre père; elles sont orphelines et vous êtes le Père des orphelins; aimez toujours Marthe et Marie puisque vous avez appelé leur frère Lazare à votre suite.

Vierge sainte, je vous ai établie la Mère de mes soeurs; il faut que vous soyez leur providence, leur soutien et leur conseillère. Voilà mes prières fréquentes pour vous, mes soeurs, car, mon coeur n'ayant plus d'autre soeur, n'a plus d'autre affection et d'autre sollicitude. Ainsi je suis bien mort au monde, et c'est une peine pour moi d'avoir affaire avec le monde; et cependant il faut que je sois toujours avec le monde. Ah! que de fois j'ai envié une vie de solitude et de retraite avec Dieu seul! Car, pour parler de Dieu et des choses de son devoir, le coeur n'en est pas meilleur pour cela; il faut qu'il parle à Dieu et à Dieu seul pour se reposer un peu et fortifier ses forces épuisées par le contact des créatures. Aussi, la pensée d'aller vous voir me réjouissait; je serais seul, un peu, ou en famille. Enfin, à la sainte Volonté de Dieu!

Ne vous mettez pas du Tiers-Ordre de Saint-François; quand j'irai à La Mure je vous recevrai du Tiers-Ordre de Marie; le Supérieur Général m'en a chargé, et je crois ne pouvoir vous offrir un meilleur souvenir.

Aujourd'hui, mon coeur se décharge un peu; allons, ne m'en voulez pas! et écrivez-moi. Le Bon Dieu m'a fait donner par plusieurs personnes de vos nouvelles, et je l'en ai bien remercié.

Ménagez-vous, il vaut mieux vivre en aimant et en souffrant que d'aller en purgatoire; il y a plus de mérite et d'amour de Dieu. Que voulez-vous, mes chères soeurs! Notre-Seigneur veut que nous allions au ciel comme lui; eh bien! quand je vois qu'une vie un peu souffrante m'a empêché de me livrer à une vie tout extérieure, et fait comprendre la vanité des biens de ce monde, je la regarde comme une de mes plus grandes grâces.

Veuillez me rappeler au souvenir de Mr le Curé, de ses aimables vicaires, de la famille Fayolle et de la bonne mère Cros, et croyez-moi toujours, en J. et M.,

Votre frère.

EYMARD, p. s. m.

P.S. Dites à Mr Clavel que nous espérons trouver une place.

Mademoiselle,

Mademoiselle Marianne Eymard, rue du Breuil,

à La Mure (Isère).


Nr.0080

An Hochw. Bramerel

Lyon, 16 Février 1847.

Bien cher ami,

Hier au soir, en feuilletant les livres de Mr Morcel, un petit paquet de lettres est tombé et j'ai vu une lettre qui m'a réjoui le coeur et bien consolé: c'est la vôtre! Toujours je me disais: Mais qui a pensé à moi? d'où vient cette boîte excellente de tabac?... Je vous croyais déjà combattant dans la plaine; si j'avais pensé que vous étiez encore dans le cénacle, cher ami, mon coeur vous aurait nommé. Je vous suis donc bien reconnaissant de votre bon souvenir; je n'en avais pas besoin pour le faire renaître, non! mais j'en avais besoin pour le consoler.

Je ne regrette qu'une chose, c'est de n'avoir pas trouvé vos lettres plus tôt. Je n'y étais pas quand le paquet arriva. Vous voilà donc bientôt prêtre, Dieu en soit béni! Un bon prêtre est un Joseph Sauveur, un autre Jésus-Christ. Que d'âmes vous attendent! que de bien à faire! Le Ciel se réjouit à la vue d'un bon prêtre comme à la venue du sauveur. Ainsi, ne regardons pas trop le côté terrible, écrasant, dangereux du saint ministère, mais le côté apostolique et divin. Sans doute il faut voir l'ennemi, mais pour se préparer au combat.

Voulez-vous, cher ami, persévérer dans l'esprit sacerdotal? lisez souvent le Selva de Liguori.

Soyez un homme d'oraison, d'études, mais d'études saintes. Aujourd'hui, il y a un grand écueil dans la science ecclésiastique, c'est qu'on ne veut apprendre et savoir que l'histoire ecclésiastique du XIXe siècle, avec la philosophie et la science du jour. Et les vieux siècles, et les vieux livres, on n'ose pas les toucher.

Je vous aime, vous le savez; eh bien, parce que je vous aime, je vous dis: Cher ami, tenez votre coeur haut, si haut que les créatures ne puissent le prendre; si haut que Dieu seul en soit la vie, le battement et le centre.

Vous serez aimé dans le monde; aimez aussi, mais comme le soleil aime la terre: son rayon descend, remonte vers lui. Votre soleil, c'est Jésus par Marie.

Que je suis content de voir comme vous aimez Marie! Oh! voilà, cher ami, ce qui fait vivre, ce qui alimente la vie: l'enfant sans mère est mort; avec une mère, qu'il est riche! qu'il est riche avec une mère comme Marie! Puis, vous, vous avez besoin d'une mère, comme moi! Nous dirons au Ciel: Notre Père et notre Mère qui êtes aux cieux ....

Allons, confiance et amour! puis, fac quod vis.

Mes amitiés à nos anciens. Et croyez-moi toujours en Jésus et Marie, votre ami.

EYMARD.

Monsieur l'abbé Bramerel en 4ème Cours,

au Grand Séminaire, à Bourg (Ain).


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