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Nr.0091

Mlle Jenny Guillot

Lyon, 9 Octobre 1847.

Mademoiselle,

Votre lettre m'a bien consolé; je remercie le Bon Dieu d'avoir mis votre âme dans la paix et dans l'amour de la sainte Volonté de Dieu.

Soyez toujours la fille de Marie en ne voulant que ce que Notre-Seigneur veut; par conséquent, aimez le divin Jésus, en maladie, en souffrance, puisqu'il vous place à côté de sa sainte croix; alors mettez de côté les exercices de piété qui pourraient vous fatiguer, comme la méditation, les prières vocales trop longues; faites même le sacrifice de vos communions et de la sainte Messe, le dimanche: c'est la volonté de Mr Berlioz. Que la volonté de Dieu soit aimée avant tout et à la place de tout: c'est alors l'amour parfait.

Restez à Chasselay jusqu'à ce que vous soyez guérie; mais restez-y comme la Sainte Vierge y resterait, en paix, en union avec Jésus.

Du courage, ma fille, mais de ce courage de confiance et d'abandon entre les mains du Père céleste et de notre bon Sauveur.

Je vous bénis, ma fille, et prie Notre-Seigneur et Marie, notre bonne Mère, d'être votre force, votre paix et votre consolation.

Nous ne vous oublions pas dans nos pauvres prières.

Mes respects à votre bonne mère et à votre soeur.

Tout à vous en N.S.

EYMARD.

A Mademoiselle Guillot Jenny, chez Mme sa mère,

à Chasselay (Rhône).


Nr.0092

An Marianne Eymard

Lyon, 26 Octobre 1847.

BIEN CHERES SOEURS,

Je m'en veux de vous avoir tant fait désirer ma lettre, mais vous savez que la faute n'est pas à mon coeur, mais à tant de choses qui me font trouver les jours si courts; puis j'ai fait quelques voyages, et les voyages me font du bien.

Ce qui m'a consolé c'est que j'ai eu l'heureuse rencontre de plusieurs personnes de La Mure, et quand j'apprends que vous vous portez bien, je suis content parce que vous l'êtes. Je sais bien que les croix ne manquent pas, et qu'après l'une arrive l'autre, mais vous savez bien que le chemin du juste est bordé de deux haies: l'une, c'est la grâce échelonnée tout le long de la route, comme le ruisseau et le pain et la force du voyage; l'autre haie, c'est la croix de Notre-Seigneur, qui prend toutes sortes de formes; mais c'est toujours la croix, et à mesure que l'on avance, les croix sont plus nombreuses et souvent plus crucifiantes pour la nature; mais aussi elles sont surmontées d'un plus beau diadème: elles nous annoncent le voisinage du paradis, parce qu'il n'y a pas de purgatoire pour les âmes crucifiées avec Notre-Seigneur. Aussi, mes chères soeurs, j'espère que votre purgatoire sera terminé à la fin de votre voyage de cette vie, car ce n'est pas celui qui meurt plus tôt qui est le plus heureux, mais bien celui qui arrive le premier en paradis.

N'oublions jamais que le Bon Dieu est seul la force, la consolation, la joie, le bonheur de l'âme fidèle.

Hélas! pauvres soeurs! habituez-vous à voir passer le monde devant vous, comme les gouttes d'eau d'un ruisseau; laissez-les couler en murmurant, en s'agitant, en s'entrechoquant. Pour vous, asseyez-vous aux pieds de Notre-Seigneur, et quand les créatures vous manquent ou vous éprouvent, c'est le Bon Dieu qui vous dit: Je vous suffis.

J'aime bien cette pensée, parce qu'elle rend libre et nous laisse toujours content. D'ailleurs, les créatures même les plus parfaites sont si peu de chose! c'est la feuille de l'arbre et qui tombe au moindre vent, pour ne devenir qu'un peu de boue.

Mettez aussi bien votre confiance en Dieu, il est si bon Père! et rien ne vous manquera parce que vous serez toujours contentes de sa sainte Volonté; on dort bien tranquille, quand on dort sur le sein de la divine Providence, et on voyage bien heureusement quand on est porté sur les ailes de cette aimable Providence.

Mais parlons un peu d'autres choses. Je vais bien, grâce à Dieu. Lyon est tranquille; peut-être vous a-t-on épouvantées par une nouvelle alarmante sur Lyon à l'occasion d'un tumulte pour la maison de Mlle Denis, que la police a visitée et dont les coupables sont en prison. De loin, ces nouvelles effrayent; de près, à peine si on y fait attention. Les impies disaient que cette maison était occupée par des religieuses et que les prêtres y faisaient du mal, qu'ils torturaient ces filles, que sais-je? De là l'attroupement, les prêtres qu'on appelait des diables parce qu'on disait qu'il y avait une fille possédée. Le fait est que tout était faux, comme l'a déclaré le Procureur du Roi; que cette Mlle Denis, qui occupait quelques filles, n'était qu'une misérable; aujourd'hui on rit de sa folie. D'abord, quand on vous dira quelque chose de Lyon de grave, ne le croyez pas de suite, je vous le dirai.

J'ai vu Madame la Supérieure des Soeurs maristes à Belley, et on attend cette demoiselle Moutin. Qu'elle tâche d'avoir de son père ce qu'elle pourra, ce qu'il a donné à sa soeur, s'il y a moyen... puis, qu'elle écrive et parte, car, en attendant trop, elle pourrait perdre sa place. Sa soeur est placée chez les Soeurs maristes à Meximieux (Ain); son chemin serait de venir passer à Lyon.

Mes respects à nos connaissances. Priez pour moi; je ne pense pas pouvoir aller encore vous voir, mais tous les jours je vous trouve en Dieu, dans lequel je suis votre frère.

EYMARD, p. s. m.

P.S. Sous peu je répondrai à Joseph Dumoulins; on croit qu'il a tous les droits pour lui.

J'écrirai sous peu au bon Mr Reymond; on attend le Cardinal pour savoir le jour de la profession de Mlle Berthilde. Mr le Curé m'avait promis un peu d'eau de la

Salette; si Mlle Reymond me l'apportait, elle me ferait plaisir.

Mademoiselle Marianne Eymard,

rue du Breuil,

à La Mure (Isère).


Nr.0093

An P. Chavaz, Marist

Lettre du P. EYMARD au R.P. CHAVAZ, mariste, Supérieur de Verdelais (Gironde)

Lyon 28 8bre 1847

Bien cher confrère,

Je suis heureux de cette belle occasion de nos Pères se rendant auprès de vous. J'en profite pour vous écrire deux mots et vous remercier d'abord de votre bonne lettre, elle a renouvelé le bonheur que j'ai éprouvé au milieu de vous, aussi mon coeur aime-t-il souvent à faire le pèlerinage /sic/ de N.D. de Verdelais.

Comme vous nous avez laissés /sic/ votre bourse à notre disposition, nous avons dit: il nous manque 500 frs pour compléter notre suscription et notre unique ressource a été de coter la maison de Verdelais pour cette somme, ainsi, mon Père, vous serez cause que la maison de théologie et la maison d'Etudes auront l'avantage d'étudier les SS. Pères. Toutes les maisons ont répondu généreusement à cet appel.

Vous voilà maintenant sur le point de commencer vos travaux apostoliques, pour nous qui restons dans le camp nous allons bien prier pour le succès de toutes vos missions, car nous y sommes bien intéressés.

Recommandez bien aux Missionnaires d'être fidèles aux pratiques de la Société, et surtout à l'oraison et à l'examen; car si un missionnaire n'a pas soin de nourrir et de fortifier en lui l'esprit intérieur et religieux, il se consumerait bientôt dans le ministère.

Puis dans l'intervalle des missions, ces quelques jours de repos spirituels et corporels /sic) que l'on prend dans la Société, ranimeront leurs forces et la (ou leur?) grâce apostolique.

Je pense que vous êtes toujours joyeux et content, tel que je vous ai laissé, et vous savez que quand le coeur est content la peine n'est rien. Tenez toujours bien votre âme dans cette sainte liberté, c'est le moyen de tout bien faire: autrement vous seriez accablé et malade. Toutes les fois que je pense à vous et à vos occupations si multipliées, un sentiment de peine s'empare de moi: c'est la crainte de vous voir succomber sous le poids de Supérieur, de Curé, de chef de Pèlerinage /sic/; vraiment il y a de quoi absorber trois vies! Aussi comme Supérieur commandez, déchargez-vous tant que vous le pourrez sur vos Confrères pour le Pèlerinage /sic/.

C'est le conseil de Jéthro à Moise. Puis il y a là un bien, c'est que le Pèlerinage /sic/ se partageant ainsi devient plus assuré que s'il reposait sur un seul. Je sais bien que la confiance ne se commande pas, c'est vrai; mais le besoin la commence et puis on se résigne. Tenez toujours bien à ce que vous aviez fixé pour vos confessions, pour vos heures, autrement vous n'y tiendriez pas, vous seriez débordé par la foule, puis votre coeur de Supérieur et de Curé en souffrirait. Je le vois bien depuis que je suis sur le calvaire de l'administration, il faut savoir se sauver, s'enfermer, être quelquefois saintement dur pour les exigences des autres, autrement on ne vit pas, on n'a même pas le temps de respirer.

Pauvres Supérieurs! qu'ils sont à plaindre! tout le monde se les arrache, chacun veut les avoir, faisons comme N.S. et fugit in montem ipse solus.

On dit que votre st.esclavage fait vogue et du bien, tant mieux! mais, mon Père, prenez garde, on va crier au Jésuite, envahisseur! et puis les Curés en tête. Je sais que vous êtes prudent, mais soyez-le bien, afin que l'ennemi de tout bien ne prenne pas prise. Il n'y a rien de jaloux et de compromettant comme les dévotes, dit-on.

Je m'arrête, il me semble converser encore avec vous avec cette simplicité et cette franchises que vous m'avez permises, puis nous sommes frères.

Allons, bon courage, mon Père, la Sainte Vierge qui est si bonne vous aidera, vous soutiendra.

Priez-la un peu pour moi et c'est dans son coeur maternel que je suis,

Bon Père,

Votre tout affectionné

et dévoué Confrère

Eymard

ass. S.m.


Nr.0094

An Marg. Guillot

Novembre 1847.

Je vous envoie, ma fille, vos notes. Conservez-les moi. J'approuve, en attendant, vos désirs sur le voeu d'obéissance temporaire, mais d'un jour à l'autre.

Je pars à l'instant sur les ailes de la très aimable Providence.

Avec elle, j'espérerai aller aux quatre coins du monde; elle est si douce, si soigneuse, si prévenante, si aimante! Ainsi, reposez-vous sur elle aussi.

J'ai parlé pour vous au P. Colin, dans le cas où vous en auriez besoin.

Adieu en Dieu, en Jésus, en Marie, en St Joseph, et si je vais avant vous au Ciel, je vous y garderai une place.

Mercredi.

EYMARD.


Nr.0095

An Fräul. Jenny Guillot

Lyon, 8 Novembre 1847.

Je viens vous répondre deux mots, ma chère fille, avant de partir pour Saint-Etienne, où je resterai une huitaine de jours. Votre lettre m'a bien fait plaisir, parce que je vois que vous travaillez à acquérir la paix intérieure par le moyen infaillible de la conformité de votre volonté à celle de Notre-Seigneur, de voir tout ce qui vous arrive comme une grâce de ce bon Maître. Et dans le fond, c'est très vrai. Puis, après tout, qu'importe que nous plaisions à Notre-Seigneur par la maladie ou par la santé, par un état d'insensibilité ou de ferveur, de soumission ou de pratiques pieuses, pourvu qu'il soit content de ce que nous faisons. Avec ces principes on est content de tout et partout, parce qu'on agit, on ne veut que ce que Dieu veut. Tâchez, cependant de faire tout ce que vous pourrez pour vous guérir, et pour cela prenez toutes les précautions nécessaires; ne faites que les exercices de piété qui peuvent s'allier avec vos forces. Si vos communions ne vous fatiguent pas, eh bien! faites-les, mais avec calme et abandon.

Vous n'avez pas besoin de vous confesser tous les huit jours, tous les quinze suffisent. Si vous êtes un peu fatiguée ou si le bruit ou le concours du monde vous fatiguent, vous pouvez vous dispenser des Vêpres; vous les remplacerez par une petite visite au Saint Sacrement, si vous le pouvez.

Bon courage, ma fille, soyez toujours heureuse de l'amour de Notre-Seigneur pour vous.

Mes respects à votre bonne mère, et croyez-moi toujours, en Jésus et Marie,

Votre tout dévoué.

EYMARD.

A Mademoiselle Jenny Guillot, chez Mme sa mère,

Place de la Fontaine, à Chasselay (Rhône).


Nr.0096

An Marianne Eymard

Lyon, 8 Novembre 1847.

MES CHERES SOEURS,

Je vous remercie bien de tout ce que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je sais combien vous êtes bonnes pour moi et je ne puis vous le rendre que par mes pauvres prières, aussi je prie sans cesse pour vous afin que Notre-Seigneur vous fasse partager le centuple de ses enfants. J'ai tout reçu: l'eau de la Salette, les deux paires de bas, mon livre.

Je viens d'apprendre que Mr Rabilloux est curé près de Bourgoin. Dieu veuille qu'il y soit plus heureux qu'à La Mure. Je ne vous conseille pas de vous adresser à Mr Pillon, restez à Mr le Curé.

En bonnes soeurs du Tiers-Ordre, voici ce que vous pourrez faire pour suppléer à ce qui vous manque: vous m'écrirez de temps en temps sur votre direction, sur vos peines de conscience, sur vos exercices de piété, sur votre oraison, et chacune sa page en particulier, et je tâcherai de vous répondre ce que je pourrai.

J'espère que Mr Pillon réussira à La Mure, s'il se tient chez lui, s'il reste très discret et surtout grave et modeste. Il est bien pieux; mais, mes bonnes soeurs, vous connaissez La Mure: pour y être tranquille, il faut rester chez soi. Aussi, avez-vous pris le bon parti.

Mon souvenir respectueux à la bonne et excellente famille Fayolle, surtout à notre soeur Tierçaire.

Tout à vous en N.S.

Votre frère

EYMARD.

Mademoiselle Marianne Eymard, rue du Breuil,

à La Mure d'Isère.


Nr.0097

An Marg. Guillot

Dimanche, Janvier 1848.

Toutes vos croix sont indulgenciées avec les conditions que vous avez dans mon papier.

J'ai lu la lettre de Mlle L. Cette bonne fille me confond par ce qu'elle croit de moi. C'est bien humiliant, en effet, d'être regardé comme ce que l'on devrait être, devant l'être, et n'avoir pour réponse que l'humiliation intérieure.

Il me semble qu'il ne faudrait pas d'association pour l'Oeuvre des ornements. J'aimerais mieux des collectes individuelles. J'ai parlé à Mlle de Revel de cela, je vous ferai donner de l'argent par elle.

Je pars à onze heures et demie avec Mgr. d'Amata. Priez pour nous.

Soyez toutes bien unies à Jésus, Marie, Joseph. Et vous, surtout, laissez mugir les vents et les tempêtes dans vous. C'est en tourbillonnant sur lui-même que le feu se purifie, et fond et purifie l'or.

Faites bien vos communions malgré toutes les fureurs du diable ...

Je vous bénis


Nr.0098

An Marianne Eymard

Lyon, 4 Janvier 1848.

BIEN CHERES SOEURS,

Il est bien juste de commencer ma première lettre de cette année par vous. Je voulais vous écrire le premier jour de l'an, mais impossible. Je vous ai souhaité une bonne année au saint Autel, je vous y ai présentées à Notre-Seigneur, lui ai exposé vos besoins et vos désirs; alors je priais comme votre filleul, votre frère et prêtre et votre religieux, et sous ces quatre titres je demandais pour vous quatre grâces:

1 Qu'il vous rende tout le bien que vous m'avez fait;

2 Que nous nous trouvions toujours unis dans l'amour de Notre-Seigneur, notre Père;

3 Que vous soyez toujours de dignes épouses de Jésus, consacrées à son amour et à sa croix qui en est la preuve;

4 Que vous soyez de bonnes tierçaires de Marie, aimant la vie simple et cachée comme Marie, servant Dieu dans la simplicité et la modestie de la piété, vous exerçant surtout à l'exercice de la sainte conformité à la Volonté de Dieu, en tout et par-dessus tout; demandant tous les jours par saint Joseph le don d'oraison, don qui obtient tous les dons.

Voilà, mes bonnes soeurs, mes souhaits; ils sont beaux, n'est-ce pas?

Pour les souhaits du temps, je vous laisse à la divine Providence; elle est votre mère et votre protectrice, et soyez assurées que notre divin Maître ne vous abandonnera pas.

Je vous engage à avoir soin de vos petites santés, en ne faisant que ce que vous pouvez faire, tout en servant bien le Bon Dieu.

Il n'y a rien de nouveau ici, sinon la grande misère qui s'y fait sentir, car le commerce va mal, et ce n'est pas étonnant: les hommes sont si mauvais, et de si mauvaise foi! Ainsi, mes chères soeurs, restez dans votre coin, y gagnant le paradis; ces grandes villes sont vraiment des Babylones de perdition.

J'ai vu plusieurs fois cette dame Robert que m'a recommandée Mr Faure; prenez garde de ne pas recevoir cette pauvre et mauvaise tête ainsi que sa misérable fille: elles se sont fait fermer toutes les portes à Lyon, par leurs bavardages, etc...

Ce bon Mr Faure ne devrait pas recommander de pareils gens. Je crois la mère folle et la fille hypocrite, sans l'assurer; mais elle me fait l'effet d'une pauvre créature.

J'oubliais de vous dire que j'ai célébré pour vous la Messe de minuit. Vous pensez bien que je vous plaçais tout près de la divine crèche.

Priez toujours pour moi, je prie plus pour vous que pour moi-même. Je me porte bien.

Tout vôtre.

EYMARD, p. s. m.

Mademoiselle,

Mademoiselle Marianne Eymard, rue du Breuil,

à La Mure (Isère).


Nr.0099

An Marianne Eymard

Lyon, 27 Janvier 1848.

MES BONNES SOEURS,

Votre lettre m'a peiné parce que je vous ai vues peinées, et je comprends que personne n'a à s'immiscer dans vos affaires de famille et que vous n'ayez à rendre compte à personne de ce que vous avez et de ce que vous faites; aussi restez tranquilles, tout en faisant comme vous faisiez, et comme l'a si bien dit saint François de Sales: "Il faut toujours bien faire et laisser dire."

Vous n'arrêterez jamais les langues dévotes, et surtout quand une apparence de raison semble légitimer leurs paroles de zèle; que voulez-vous faire? Faire comme Notre-Seigneur, garder le silence, mais un silence de paix et de charité, car je crois que ces pauvres personnes qui vous font de la peine ne pensent qu'aux misères d'autrui, et ne consultent que leur coeur, ne font pas attention à leurs paroles un peu vives. Comme aussi ne vous tourmentez pas tant de ce que vous dit Mr le C.; il est homme, impressionnable comme les autres. Si on lui a dit que vous étiez bien riches... je comprends cela; mais, hélas! le pauvre Curé ne sait pas tout.

Voyez-vous, mes soeurs, voici toujours mon conseil: confessez-vous simplement; si on vos fait des questions de direction, répondez-y avec reconnaissance. Si l'on se contente d'écouter vos péchés, eh bien! le Bon Dieu vous éclairera lui-même en temps nécessaire, mais ne vous en désolez pas. Vous êtes après tout telles que vous êtes devant Dieu, et Dieu est un bon Père.

Ménagez-vous mieux. Vous travaillez trop. Donnez plus de temps.

Priez pour moi, et moi pour vous.

Votre frère.

EYMARD.

Mademoiselle Marianne Eymard,

rue du Breuil,

à La Mure (Isère).


Nr.0100

An Frau Gourd

Lyon, 28 Janvier 1848.

Madame,

Je commençais déjà à me plaindre à Notre-Seigneur, j'étais bien inquiet; enfin votre lettre m'a consolé. Cependant je vous approuve en voyant que vous mettez en pratique ce que vous m'avez dit devoir être votre Règle: La sainte Volonté de Dieu avant tout, par-dessus tout, en tout et en tous.

Oh! qu'on est bien partout avec cette Règle divine de l'aimable Providence! On est comme un enfant entre les bras de sa mère. Soyons bien enfants entre les mains de Dieu; quelquefois sa grâce nous porte, alors on voyage avec bonheur; d'autres fois il se contente de nous donner la main, alors il faut marcher, mais la peine n'est rien en la compagnie de Jésus. Souvent il nous laisse marcher seuls, dans la boue, au milieu du désert; alors appelons ce Bon Maître: il l'a fait exprès pour nous apprendre que seuls nous ne pouvons rien. Il paraît que ce bon Père vous laisse quelquefois faire l'essai de votre faiblesse et toucher du doigt votre misère; eh bien, bénissez-le encore de cette grâce qui fait ressortir davantage son amour pour vous. Oh! oui, soyez-en sûre, ma pauvre fille, le Bon Dieu vous aime bien et bien gratuitement, c'est ce qui doit faire votre confiance; surtout il veut que vous sachiez bien que tout ce que vous faites n'a de bonté à ses yeux qu'autant qu'il y a abnégation de votre volonté pour faire la sienne; et je remercie ce bon Maître d'avoir un soin de Père de votre âme et de votre vie. Aussi, croyez-moi : point de prévisions inquiètes pour l'avenir; point de désirs d'une vie plus libre, même pour pratiquer paisiblement le silence, le recueillement extérieur, l'oraison même. Laissez, ma fille, à Notre-Seigneur le soin de choisir la forme extérieure de votre vie selon son bon plaisir; regardez tous les événements personnels comme venant de son coeur de Père, vous rappelant que le parfait amour de Dieu aime Dieu en Dieu, va à Dieu par la voie la plus courte, la voie d'abandon à la sainte Volonté du moment. Ah! qu'il en coûte à votre coeur de mourir à ce moi pour vivre uniquement de Dieu! Pour nous aider à mourir Dieu bouleverse ciel et terre, il fait venir autour de nous toutes les faiblesses humaines, les distractions, les sécheresses, les désolations, les irritations intérieures pour nous détacher de nous-mêmes; les créatures avec leurs défauts, leurs passions, leurs exigences, leurs importunités pour nous exercer à la douceur, à la patience, pour nous dire que le centre de la paix n'est qu'en Dieu. Voyez-vous, le Bon Dieu est bien contrariant: quand nous voudrions prier, il nous fait travailler à des choses que nous n'aimons pas; quand nous voudrions être seuls, il faut vivre en une société pénible, profane. Hélas! disons-lui bien: "Mon Dieu, mon aimable Père, votre sainte Volonté me tient lieu de tout et je vous bénirai en tout."

Mais je l'avoue, si l'on n'avait pas soin de nourrir, d'entretenir la vie intérieure, nous serions bientôt épuisés, faibles et chancelants. Il faut la nuit à la végétation de la terre, il faut le sommeil à l'homme; sommeillez souvent sur le Coeur du bon Jésus comme saint Jean. Oh! qu'on apprend de choses dans ce doux sommeil du silence intérieur de l'âme en Jésus! qu'on s'éveille courageux!

Mais, dites-vous, je suis bien dissipée, je ne puis plus me retrouver, l'activité me sort toujours de moi-même!

Je veux croire que tout soit vrai. Que faire? Rien.

Trahir tout doucement votre imagination, votre activité d'esprit, votre irritation du coeur, et les livrer l'une après l'autre à Notre-Seigneur; les prendre dans les filets de sa sainte Volonté; puis cela sera fait sans violence, sans bruit, sans commotion, comme on fait quand on veut prendre des poissons: alors la pêche miraculeuse sera faite. Imitez, ma bonne fille, l'ange Raphaël dans vos rapports avec le prochain; voyez: l'Ange quitte le ciel, sa place distinguée devant le trône de Dieu, et vient sur cette terre de misère; il prend une forme de vie, pauvre, humble, servile auprès du jeune Tobie; il le sert comme son maître, il ne paraît nullement pressé en rien, il fait chaque chose avec calme et liberté de coeur. Et pourquoi tout cela? Dieu le veut, c'est pour cela que Dieu l'a envoyé; et l'Ange est plus heureux dans son message, qu'il ne le serait dans le ciel avec sa volonté (s'il était possible). Mais remarquez que, tout en vivant en homme, il se nourrit toujours de sa nourriture invisible et divine: il se nourrit de la vue de Dieu, de l'accomplissement de sa sainte Volonté; voilà ce qui lui fait trouver le ciel sur la terre, je vous en laisse l'application.

Voilà pour l'âme. Laissez-moi vous dire de soigner le corps aussi. Je crains bien que vous n'ayez pas soin de vous; il faut que la prudence assaisonne toutes les vertus. Pour moi, je vous en remercie, je vais bien pour ce que je fais; mais j'aurais bien besoin de faire ce que je vous écris: ma pauvre âme souffre aussi d'une vie si extérieure et si active. Ah! priez bien pour ma misère; vous savez bien que les fournisseurs ne gardent souvent rien pour eux et sont réduits à l'aumône.

Je pense qu'on vous a appris la maladie de votre pauvre mère; cela m'a bien affligé, surtout vous sentant loin d'elle. De suite j'ai fait prier pour elle et pour votre mari; mardi et mercredi, jours de réunions, je les ai recommandés au Tiers-Ordre. Toutes font une neuvaine pour l'âme et pour le corps; et moi, interprétant vos intentions, je la fais aussi par une neuvaine de messes en l'honneur de la sainte Vierge et de saint Joseph. O heureuse maladie, si le salut en était le fruit! Que je le désire donc! Ne nous décourageons pas, Jésus a tout fait pour sauver une âme.

Madame Nicod est toujours bien faible et bien malade; elle peut en mourir, car voilà près de quarante jours qu'elle ne prend presque rien: c'est une fièvre typhoïde, mais elle est bien soumise; seulement, ses enfants la peinent.

Ce que c'est que la vie! Oh! quand serons-nous au Ciel!

Allons, je vous laisse; c'est trop long, mais c'est pour vous prouver combien je tiens à vous rendre la pareille afin de vous encourager.

Tout à vous dans le divin Coeur de Jésus où je vous laisse et vous trouve.

EYMARD.

P.S. Nous venons de recevoir des nouvelles de l'Océanie et nous (avons) un nouveau martyr: c'est le frère Blaise. Avant de mourir, on le consolait: "Pourquoi vous affliger? disait-il; nous ne faisons qu'échanger cette vie pour une vie meilleure." A la vue de son calme, de la joie peinte sur son visage mourant, un protestant s'écrie: "C'est là la vraie religion!" et se fait catholique. Tous les missionnaires de la Nouvelle-Calédonie ont failli être tous martyrisés avec un Evêque; ce n'est que par miracle qu'ils vivent encore, ils ont été obligés d'abandonner cette île. Priez.

Madame,

Madame Gourd, à Nice.

Recommandée à Madame la Supérieure de la Visitation pour être remise en mains propres.


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