Le mystère de la voix
une méditation musicale,
racontée par
Claudio Ronco
J’ai lu : « Au-delà du narratif ou du descriptif, la musique qui fait appel à la voix tente de révéler un mystère: celui de son origine». Une telle observation m’amène tout de suite à une question difficile: Est-ce que l’art est au service de l’homme, ou c’est l’homme qui doit être au service de l’art ? Je vais essayer de mieux m’expliquer : cette phrase vient d’un très beau livre d’une musicologue française, Danielle Cohen-Lévinas : « La voix au delà du chant », Paris 1987. L’auteur, à travers un parcours très complexe, nous parle de la musique contemporaine, mais je vais limiter mes observations à cette phrase initiale, car à mon avis elle ouvre une perspective extraordinaire sur l’art de la musique. Donc je ne parlerai pas d’autre chose que des suggestions de cette phrase. J’y vois un appel : « Cherchez la voix ! », ni plus ni moins d’un « Cherchez la femme ! » d’après un roman policier, pour prendre la direction juste vers la découverte de l’origine du crime, ou de ce qui révèle le mystère. Mais au-delà de ce récit – qui ne pourra pas être compris par quelqu’un qui ne parle pas notre langue – il nous reste seulement une séquence de sons qui peuvent nous dire quelque chose seulement si on les entend comme l’expression d’un corps. Donc ce corps peut bien se présenter à nous avec des mouvements – une danse plus ou moins abstraite ou descriptive : il se rapproche, s’éloigne, se courbe, s’allonge. Ou bien avec sa voix : une voix qui, à son tour, est liée elle-même à un corps: une voix-cri, une voix-bruit, une voix-geste… ces voix ne nécessitent pas la médiation d’un concept parce-qu’elles sont des sensations universellement communicables. Mais cette voix à laquelle la musique fait appel, dans ce cas, est-ce vraiment la voix des hommes ? Le jour où j’ai joué mon violoncelle pour des gens d’un autre monde – et on n’a pas besoin d’aller très loin pour ca : il nous suffit de jouer, plutôt que dans une salle de concerts, dans un pénitentiaire, un hôpital, une école pour les enfants-- eh bien, ce jour là je me suis aperçu que je ne pouvais pas partager ma tradition musicale, mais que mon public pouvait suivre parfaitement le langage élémentaire du corps, exprimé par le geste du son musical. C’était donc ma voix qui devenait universelle, non pas mon langage! Et pourtant, ma voix ce n’était pas ma voix: c’était, avant tout, la voix d’un violoncelle qui révélait le mystère de son origine, parce-qu’à l’origine il y avait une voix-modèle, mais cette voix pouvait raconter l’origine de toute vie et de toutes les expressions de la vie. Donc une voix au delà des différences, une voix sacrée qui peut traverser les barrières des cultures. Claudio Ronco |
écoutez-la
(il faut clicquer et attendre...)
immagini:
Dagherrotipo di ignoto.
Claudio Bravo, "Guitarista", 1978.
musique:
J. S. Bach, Chaconne en Re min. pour violon, arrangée pour voix et violon;
The Hilliard Ensemble et Christophe Poppen, violon.
W. A. Mozart, "Ecco quel fiero istante" à quatre voix;
Elly Ameling Ensemble
©claudioronco2006