Saint Louis Scrosoppi
Tiré du livre « Beato Luigi Scrosoppi » des
Sœurs de la Providence.
Deux familles et une tradition
Le Père
Louis naquit d’excellente souche: une de plus grandes grâces qui peut arriver à
qui vient au monde sur cette terre misérable. Nous pouvons remonter à ses deux
grands-parents, celui maternel et celui paternel.
Le premier, Jean Baptiste Lazzarini, était un commerçant aisé. Mais ce qui compte
davantage, il avait une foi solide. Une foi de vives tonalités franciscaines.
Né en Bourg Grazzano en Udine, il avait fréquenté dès
l’enfance l’Eglise de Saint François de la Vigne, aujourd’hui disparue. Cette
église était quasiment un sanctuaire marial, consacré surtout au culte de
l’Immaculée Conception. C’est dans un tel esprit que grandit Antoinette, la mère
de Louis. Mais, à la pitié franciscaine et à la tendresse vers l’Immaculée, les
événements lui ajoutèrent une autre force: celle de la douleur chrétienne. Mariée,
à Malborghetto, à un noble maître de forges, François
Filaferro, elle dut fuir
devant les hordes de Masséna et perdit, outre ses biens, son deuxième enfant,
Jean Baptiste, et, peu de temps après, son mari se réduit à exercer la
profession de charcutier.
Au milieu de nombreuses épreuves
et ces temps agités, la foi des autres aurait chancelé, la sienne se fortifia.
Et on peut dire que Louis, du côté maternel, fut l’enfant de la foi mise à
l’épreuve du feu de la douleur.
Il y avait à Udine un autre
foyer d’intense ferveur religieuse. C’était l’oratoire du Crucifié ou du
Christ, une compagnie laïque de glorieuses traditions spirituelles, que se réunissait
dans la petite église homonyme, en face à l’église de Saint François du XIIIe siècle.
A cet oratoire était inscrit,
dès sa jeunesse, son grand-père paternel, Joseph Scrosoppi;
et, après peu qu’il mourut, en 1801, s’y inscrivirent également ses deux
enfants Dominique et Joseph. En plus, l’inscription de Dominique, le père de
Louis, précéda de peu de mois son mariage avec Antoinette Lazzarini,
veuve de Filaferro. Les deux souches s’étaient
nourries à la sève franciscaine: la première s’épanouit au sourire de
l’Immaculée; la seconde se fortifia du sang ruisselant de la Croix. De telles orientations
spirituelles furent à peine un germe, chez les grands-parents et parents et de
cette floraison explosa Louis.
Un frère de feu
Ce fut
vraiment un triste jour celui des Morts, le 2 Novembre 1800, pour maman
Antoinette Lazzarini qui, le 3 avril, avait perdu sa mère
Angèle Dossi, et ce jour-là se rendait pour pleurer
sur la tombe de son mari. Désormais ne
lui restait que son premier fils, Charles, alors âgé de quatorze ans. A travers
la Valcanale elle repris la route du Frioul, en
direction de sa ville natale, Udine.
Que faire du jeune Charles ?
Quelqu’un lui conseilla de l’orienter
vers le commerce. Maman Antoinette pria ardemment qu’il se consacrât à Dieu. Il
y a une quelque chose de profond dans cette prière. On peut sûrement entrevoir
la foi de la pieuse femme, fortifiée plutôt qu’affaiblie par la douleur.
Sa prière fut exaucée. Puisque,
à la surprise de tous, Charles déclara (il ne l’avait jamais dit auparavant)
qu’il voulait se faire prêtre. Il avait déjà fait ses premières
études à Klagenfurt ; il les poursuivit au séminaire d’Udine.
Tous ceux qui connurent le futur
p. Charles sont d’accord pour lui reconnaître une intelligence masculine, une
solide piété et de remarquables qualités de directeur spirituel, une exceptionnelle
distinction (bien qu’ il cachât toujours ses nobles origines) et une grande
affabilité des traits. Pourtant, sous tant de douceur, il se cachait une trempe
de fer, qui s’accordait bien à son surnom de « Saint de fer » :
S. Charles Borromeo.
Il démontra cette trempe par un
choix qui a presque le goût du défi. La Congrégation des Philippins en Udine
était déjà sous la menace de la suppression quand, le 2 septembre 1806, Charles
demanda à y être admis. Et, le 24 septembre 1809, il était ordonné prêtre par
le Mons. Baldassarre Rasponi,
archevêque d’Udine que, quelque mois avant, Napoléon, sur le champ de bataille St.
Pòlten près de Vienne, avait ordonné de fusiller; il fut
ordonné prêtre tandis que Pie VII avait été fait prisonnier trois mois
auparavant et alors que l’église où il avait été baptisé à Malborghetto,
était en ruines à la suite du bombardement français du 17 mai de la même année.
Le petit Louis Scrosoppi avait peu plus de cinq ans quand son demi-frère
célébra sa première Messe, une messe sur laquelle flottait le souvenir des catacombes
et de possibles promesses de chaînes et de martyre.
Le p. Charles
était un personnage charismatique. Il enflammait tous ceux qui l’approchaient. Non
de feux follets, mais d’une flamme qui se nourrissait de l’intimité de l’âme et
brûlait toute la vie. Voilà pourquoi le p. Louis vivra
toujours à ses côtés et quasiment dans son ombre. Outre à une origine empreinte
de foi, il lui fut donné un frère de feu.
En réalité, le
p. Charles fut aussi au centre de la nouvelle famille.
Quand en 1810 fut supprimée la
Congrégation de Philippins, mais sauvegardée à son culte l’église de Sainte Marie-Madeleine
(aujourd’hui palais des Postes), le p. Charles resta un
apôtre de la spiritualité dans cette église. Et pour lui rendre la vie plus
facile, son beau-père Dominique acheta en 1811 une maison près de là. Ainsi, le
petit Louis fréquenta ce temple et il «errait innocent et pieux » parmi
les vénérables Pères qu’y célébraient l’office. C’est là qu’il fit sa première
Communion; et son maître, son guide, son ange protecteur fut naturellement le père
Charles.
Adolescence
Quels furent les événements qui plus
frappèrent le jeune Louis? Nous ne le saurons jamais avec certitude. La vie de
chacun est une voile mystérieuse et impénétrable.
Quelque événement cependant nous le connaissons. Peut être l’innocence de l’âme
infantile ne lui permit pas de s’en apercevoir. Ni le vacarme des armes autrichiennes
et napoléoniennes du 1809 dans le Frioul, ni l’horreur de la captivité papale ne
lui causèrent
une blessure conscience; il en entendit probablement parler à la maison et cela
l’influença comme des nuages sombres et mystérieux flattant au-dessus de sa
tête. Mais avec l’intuition propre aux petits garçons il comprit que son frère
montait à l’autel au milieu des épines et il n’en avait pas peur.
Au contraire, plus tard, il
perçut, en 1813, à l’âge de neuf ans, que quelque chose d’important arrivait,
avec la chute de Napoléon. Et plus tard encore quand, en 1814, carillonnèrent
les cloches, en signe de triomphe pour le retour de Pie VII en Rome. Il
semblait de s’approcher concrètement de la vérité des mots de Jésus: Les
puissances de l’enfer ne l’emporteront pas.
L’âge d’or de la religion
semblait de retour. Le Frioul chrétien avait connu des temps splendides sous
les trois derniers patriarches d’Aquileia. Puis le
ciel s’était obscurci. Suppression des jésuites, lois vénitiennes oppressives
de l’Eglise, Révolution française…Les bons étaient restés atterrés: l’impiété
et les mauvaises moeurs s’étaient répandus à outrance. Désormais c’était une
sorte de renaissance. Et le cœur du petit Louis perçut probablement, des lèvres
du père Charles, le frémissement joyeux de la renaissance chrétienne. Mais,
immédiatement commencèrent des années de famine, s’ajouta en 1817 une épidémie de typhus, inconnu jusqu’alors.
Au printemps de cette année il n’était pas rare de trouver quelque pauvre, par exemple
quelque enfant, mort par inanition ou maladie sous les porches de la ville. Les
affamés descendaient en tristes processions de la montagne. Le vieux séminaire ramassait
les enfants réduits à la mendicité par centaines. On ne parlait que de faim et
de mort…Un jour, le p. Charles lui-même retourna chez
lui chancelant de fièvre. Dans la mesure où il parlait allemand, on lui avait
confié l’assistance spirituelle des malades de l’hôpital militaire. Et il s’y
était dédié sans se ménager. On craignit pour sa vie. Mais la Providence avait
d’autres desseins. Puis la longue et difficile convalescence commença.
Le petit Louis avait fait depuis peu sa première Communion. On peut dire qu’il
connut dans le même temps les Nourritures spirituelles et la faim terrestre. Il
avait treize ans. Quelle énorme impression durent
faire sur son âme la vision de beaucoup de pauvres et le spectacle poignant de
ses contemporaines se traînant sur les routes, déguenillées et émaciées! La vue
de tant de misère et de l’héroïsme fraternel eurent
une importance décisive sur Louis adolescent. Quelle en fut la preuve? Toute la
vie qui s’ensuivit.
A l’ombre des cèdres du Liban
Le
jeune Louis grandit à l’ombre des cèdres du Liban. De sa maison de la rue Aquileia (aujourd’hui Victor Vénitien), une cinquantaine de
mètres le séparaient de l’église de Sainte Marie-Madeleine, où les Pères Philippins,
dont l’ordre avait été supprimé, continuaient à officier.
Là, il connut des prêtres renommés
pour leur vertu.
Premiers entre tous, le vénérable
curé Maxime de Brazzacco, que toute la ville considérait
comme un vieux patriarche et le p. Gaétan Salomoni,
âme charitable pour excellence, qui avait fondé la maison des Délaissées et
dont le p. Charles devint le bras droit après sa guérison.
Puis, au séminaire qu’il fréquentait
pour ses études, il trouvait d’autres âmes dévotes. Et justement pendant les
années difficiles de l’adolescence et de la première jeunesse, Louis se raccrocha
(c’est le mot juste!), à d’autres éminents ecclésiastiques, entre les mains desquels
il dépendait l’avenir du diocèse. Il suffit de rappeler Mons. Mathias Capellari, ami du futur pape Grégoire XVI, qui teint tête
avec une fierté toute apostolique aux prétentions joséphistes du gouvernement autrichien.
Lui succéda non moindre en vertu et en grandeur sacerdotale, Mons. Marian Darù, lequel se prit d’affection fraternelle pour le p. Charles et le p. Louis.
Parmi ses contemporaines peut-on
omettre de parler des trois perles du clergé frioulan, amis inséparables du p. Louis ? L’abbé Pierre Benedetti, très cultivé et pieux,
fondateur de l’école maternelle; Mons. Dominique Someda,
vicaire général, confesseur du saint; et l’abbé Fantoni,
le « dimidium animae meae » du p. Louis, qui fut son collaborateur éclairé jusqu’à
sa mort.
Parmi tous ces saints brille le
personnage du père Louis à travers deux phénomènes particuliers. Il y eut une période
de sa vie, à partir du 1856, où, aux yeux de toute la ville, il représenta le foyer,
l’âme, le joyaux de cette poignée de saints et l’église de Sainte Marie-Madeleine
qu’il dirigeait, fut considérée (et détestée de ses adversaires) comme la
forteresse de l’esprit catholique et de la plus vive spiritualité.
De son vivant comme après sa
mort, bien qu’il fût inférieur à ces confrères en matière de doctrine ou autres
compétences, il l’emporta sur tous le phare tel de qui
illumine de sa sainteté.
Une fois de plus se réalisa ce
qu’a dit de soi la Sainte Vierge: Dieu la choisie pour son humilité et accomplit
à travers elle de grandes choses.
Devenir capucin?
En 1819 le
p. Charles commença à collaborer avec le p. Gaétan Salomoni
dans la Maison des Délaissés et en 1822 il en assuma personnellement la
direction.
Louis aida son frère dans cette
œuvre sainte jusqu’au 1826, alors qu’il était encore diacre, en donnant des
cours de catéchisme ou autres disciplines, surtout d’astronomie.
Consacré prêtre le 31 mars 1827,
l’abbé Louis se dédia entièrement à la Maison des Délaissées et il devint le
« frère quêteur ».
C’est justement à cette époque (ce
fut un moment clef de sa vie), vers 1830, que se rouvrit à Udine un couvent des
Capucins. Le nouveau couvent se trouvait à deux pas de la Maison des
Délaissées. La proximité, la vocation franciscaine héritée de ses grands-parents
et parents firent naître en l’abbé Louis le désir de se faire capucin.
Qu’il fût franciscain dans le
profond de l’âme, il n’y a pas de doute.
Mais comme expliquer ce profond
désir?
Parfois, les âmes qui se donnent
généreusement à Dieu éprouvent une grande insatisfaction, comme si elles ne s’étaient
pas assez données. « J’ai choisi d’être prêtre (aurait déclaré l’abbé
Louis) pour devenir saint et sanctifier. Mais, après trois ans, qui suis-je et
qu’ai-je accompli de bien? Ne vaut-il pas mieux que je me retire dans un cloître
pour vivre dans le recueillement et la prière ? ».
N’oublions pas que Louis était incapable
de faire les choses à moitié et de céder à des compromis. Il partageait sa vie
quotidienne avec les filles d’une grande pauvreté; mais après il retournait
chez lui, où l’on vivait avec une certaine aisance, comme dans toutes les
familles de la bonne bourgeoisie. Il est certain qu’il se sentit un peu en décalage
et ce n’était pas sa faute. Lorsque mourut le p. Charles, Louis s’empressa de
quitter sa Maison et embrassa la totale pauvreté.
Mais deux motifs doivent lui apparaître
la voix du ciel. Au même moment, après le retrait du sous-directeur, l’abbé Bearzi, la Maison des Délaissées traversait une grande
crise. Le frère était resté seul à l’œuvre. Peu après, en 1831, éclata une épidémie
de choléra. Les besoins augmentaient, le nombre des orphelines se multiplia. « Elles
demandaient du pain et personne ne leur en donnait». Au gémissement des pauvres
sur le calvaire de la Charité, le p. Louis immola ses
aspirations ascétiques. Il les réalisera plus en avant, en reconstituant la Congrégation
philippine, sans abandonner les bonnes œuvres. Saint François avait bien dit:
Paix et Bonum!
Après avoir fait son choix, et surmonté,
si l’on puit dire, sa crise intérieure, l’abbé Louis se dédia corps et âme à la
Charité. Comme il était par nature. Dieu voulait qu’il se consacrât à la Maison
des Délaissées ? Il le fit sans se ménager.
Dans son cœur les pauvres
Le p. Charles, intelligence et avec
expérience, s’occupait de cette œuvre depuis plus de dix ans.
Cependant l’œuvre languissait.
Elle n’avait pas même son propre siège. Deux maîtresses salariées s’occupaient
des orphelines. La Maison et les maîtres étaient maintenus grâce à la bienfaisance
de quelques pieuses dames de l’aristocratie. Mais on sait bien comment finissent
ces choses. Les premiers enthousiasmes s’affaiblissent et l’œuvre languit.
Il touchait presque sa fin quand
l’abbé Louis, un prêtre de 26 ou 27 ans, renonça au cloître pour s’y consacrer.
Et voilà que finalement le p. Charles décida d’acheter la Maison et le fond
annexe ; il commanda un projet et puis un autre encore plus hardi
jusqu’à atteindre les dimensions de
l’édifice actuel, pour ces temps-là, imposantes ; et il s’apprêta à
engager du personnel volontaire pour refaire la nouvelle institution.
Que s’était-il passé de nouveau?
Rien, absolument rien, sauf la présence, à ses côtés, de son frère, plus jeune
de 18 ans, élément moteur et promoteur de nouvelles audaces.
Le p.
Louis se consacra à la Maison des Délaissées parce qu’elle existait déjà et
avait besoin d’être sauvée et développée. Mais ayant choisi la voie de la
Charité, il aurait pu également se lancer dans d’autres entreprises.
Et, par la suite, il n’exclura
aucune institution caritative des objectifs de sa Congrégation, tant est vrai que
Rome lui rappellera à une délimitation. Pour lui, la charité embrassait tout.
Il suffisait qu’il s’agisse d’œuvres pauvres pour les pauvres, que d’autres à
sa place auraient refusées.
Pauvres étaient les sœurs,
pauvres étaient les malades; c’étaient des pauvres qui aidaient d’autres
pauvres: tel était son idéal et son programme.
Son réalisme lui faisait
entrevoir que la voie de la charité est parsemée d’obstacles et amère ; il
en fit bientôt l’expérience, lorsque à l’occasion de ses quêtes ou à travers le
Frioul il dut affronter les railleries, y compris les
gifles et les chiens excités contre lui.
Pas de romantisme ni de ton
spirituel. Il fit sien la maxime de Saint Paul de la Croix : « Se
taire, opérer, souffrir », il l’avait mis en pratique dès le début, au
service de la Charité.
Qu’est donc qui le faisait
avancer et le soutenait? Jésus, un amour infini pour Jésus! Il prit au sérieux
les mots de l’Evangile : « J’avas faim et vous m’avez rassasié. J’étais
nu et vous m’avez donné des vêtements…il vit réellement Jésus à travers les
pauvres, il Le vit dans les orphelines et cette vision compensait le goût d’amer
des aumônes qu’on lui refusait ou faites avec dédain et des ampoules aux pieds
pour avoir monté et descendu tant de ruelles ardues pour ne recevoir parfois
que des moqueries.
Les imprévisibles exigences de Dieu
Il est naturel que les parents
désirent la continuation de la famille. C’est pour cela que l’on fête la
naissance d’un enfant mâle. Chez les Scrosoppi il n’y
eut pas de réelles préoccupations. Des trois enfants mâles, l’un issu d’un
premier mariage, les autres d’un deuxième, les parents n’en gardèrent aucun
pour eux. Ils les donnèrent tous au Seigneur. La mère Antoinette en fut certainement enthousiaste:
elle avait prié pour la vocation de Charles et c’est avec joie qu’elle vit s’épanouir
la vocation de Jean Baptiste et elle de Louis. Que l’on sache, même monsieur
Dominique ne fit aucune objection. Au contraire, il en fut heureux.
Ils devirent donc prêtres. Mais
quel genre de prêtres?
Le p.
Charles s’était inscrit à la Congrégation Philippine. Et la règle de cette
Congrégation était que ses membres exerçassent le ministère sacerdotal gratis et amore
Dei.
Et le
p. Louis suivit cette même voie.
De plus, après que tous les deux
se soient lancés à corps perdu dans les œuvres de charité, ces garçons bénis
par le Seigneur ne portèrent rien à la maison, ni ne réussirent à vivre de leurs
dons, bénéficiant en revanche des largesses de leur famille.
Dominique Scrosoppi
avait mis de côté une bonne fortune.
Dans ce cas, il est naturel de vouloir l’augmenter et de désirer que ses fils
augmentent le lustre et le trésor de la famille. Au contraire le P. Charles et
l’abbé Louis se sacrifièrent pour es pauvres, consommant la fortune accumulée
avec beaucoup de fatigue.
Seulement l’abbé Jean Baptiste eut
une carrière plus brillante jusqu’à devenir archiprêtre de Sacile.
L’abbé Louis laissa de côté la
vie séculaire, refusa toute vanité, aima descendre plutôt que de s’élever. Sa vie
devint un défi au prestige de la bourgeoisie
laquelle il appartenait. Et qui sait combien de personnes auront hoché la tête,
combien auront dit à maman Antoinette : « Votre fils exagère. Ce
n’est pas convenable à sa condition ». Combien auront pensé qu’il fût un
peu timbré!
Imaginez-le dans les quêtes dont
on a parlé. Un prêtre de famille riche qui s’en va par la ville avec la besace à
l’épaule, ou poussant une charrette ; qui entre chez les charcutiers, chez les
boulangers ; qui frappe aux portes des gens bien.
« C’est le fils de Madame
Antoinette », chuchote la bonne de la comtesse.
Imaginez-le assis sur un chariot
branlant tiré par un âne allant de pays en pays. C’est incroyable!
Il « descendit » non
seulement dans les quêtes, mais aussi durant toute sa vie, dans sa façon de
s’habiller et dans sa tenue. Ces savates étaient célèbres. Si on lui offrait des savates nouvelles, on pouvait parier qu’il les donnait aux pauvres. Même
le vêtement le plus beau, il l’offrait à un pauvre clerc et continuait à s’habiller
tant bien que mal. Et, plus tard, quant il visitait les hôpitaux dirigés par
ses sœurs, il demanderait la charité d’un mouchoir ou d’une chemise, mais ceux
des plus miséreux parmi les malades.
La classe sociale, le prestige
attaché à la condition, le lustre de la famille, c’étaient de vains mots aux
yeux de l’abbé Louis. Ce qui le faisait avancer, ce qu’il recherchait, était
autre chose!
Les plus beaux cadeaux du Seigneur
Dans l’Evangile, la Sainte
Vierge répand sa radieuse lumière pour racheter les âmes et élever la condition
féminine. Et, dans l’Evangile, quasiment aucune femme ne fait piètre figure. Pas
même l’adultère et les pécheuresse de Madeleine.
D’ailleurs, on sait combien la femme doit son élévation au Christianisme.
A cent soixante cinq ans de la
fondation on proclama bien haut l’égalité des sexes. Quelle différence depuis
ce temps-là!
Les pauvres filles du peuple, particulièrement dans les villes ou
dans certains quartiers de la ville, les malheureuses orphelines, qui tombaient
dans les mains cruelles telle la Cosette de Victor Hugo, ou qui étaient
laissées sur le bord de la route, étaient toujours nombreuses.
Les intenses années de la
révolution française et des guerres successives avaient aggravé leur condition.
Ces filles semblaient irrémédiablement condamnées.
Le P. Louis se consacra à ce
type d’apostolat parmi les pauvres filles du peuple par la force des choses et,
pour lui, le salut de ces âmes devint une croisade authentique. C’est pour cela
qu’il souhaita la construction d’une grande maison, qui puisse satisfaire tous ces
besoins. Pour cette raison la porte fut toujours ouverte à les accueillir. Le
P. Louis accueillait les orphelines comme « un don de la Providence ».
Ainsi les considérait-il et ainsi voulait-il que les enfants et les sœurs les
accueillissent.
Souvent il cachait sous le
manteau quelque petite à peine recueillie et demandait à ses petite
filles : « Devinez ce que je cache ci-dessous ? Et il répondait
lui même : « Un don que le bon Dieu nous a envoyé. »
Plus elles étaient pauvres et abandonnées,
plus la tendresse miséricordieuse du
père s’exprimait et, en les confiant aux sœurs, il disait : « ce
sont les dons les plus beaux du Seigneur, traitez- les avec une attention
spéciale ».
Souvent elles arrivaient à la maison
comme des moineaux égarés. Un jour c’était un enfant de six ans qui
accompagnait sa sœur cadette jusqu’à la porte puis s’en allait.
Mais celui qui se spécialisa à
porter au p. Louis ces « dons » fut le curé
de S. Quirino, le miséricordieux mons. Filipponi.
Un jour, une maman, en proie à
la misère, menaça de se suicider si le curé ne s’occupait pas de sa petite fille.
Le bon curé, consterné, prit l’enfant et courut à toute vitesse chez le p. Louis. Il savait qu’il n’y avait plus de place mais, une
fois dans la chambre du Père, il ouvrit son manteau où il tenait cachée la petite.
Le p. Louis et l’enfant se
regardèrent, se sourirent…et mons. Filipponi s’en
alla heureux : cette petite avait trouvé un père. Le nouveau lit fut préparé
tout de suite : c’était la corbeille du linge.
La pédagogie concrète du P. Louis
Dans la Maison les filles
recevaient une éducation sérieuse. Elles deviendraient de bonnes mères de
famille. Ou elles entreraient au service de quelque
bonne famille. Sur ce point il était très attentif.
Une fois il dut
constater qu’une jeune était en péril. Il la retira tout de suite, sans hésiter,
bien qu’il s’agît d’une famille dont il
avait eu des bénéfices. Inutile de dire que cette tutelle lui attira méchanceté
et rancunes.
Un jour un monsieur en colère entra
chez lui un monsieur en colère et se précipita tout de suite dans son bureau. La
concierge l’entendit frapper rudement le père. Terrifiée, elle demanda de l’aide,
puis elle ne vit plus sortir ce mystérieux personnage ; et elle imagina
qu’il s’était agi du diable.
C’était certainement quelqu’un
auquel le père avait arraché sa proie.
Quand les autres accoururent
chez lui : « Ce n’est rien, dit-il, ce n’est rien». Et il imposa le
silence.
Le p.
Louis fut un homme expert et simple à la fois. Non dénué de culture et d’intérêts
culturels. Mais dans son apostolat il ne rechercha pas les subtilités théoriques.
Il s’intéressa également à l’expérience
éducative des autres, comme les écoles maternelles du Aporti,
aux œuvres des Canossiennes. Cependant il lui avait
besoin de peu de directives. Car il était doté d’une sensibilité, d’un grand bon
sens et d’une grande fermeté, unie à la douceur paternelle. L’abbé Louis avait
à coeur, avant tout, de nourrir au mieux ces filles, qui arrivaient maigres et
rachitiques. Il voulait qu’elles grandissent saines et fortes. Un autre point pour
lui très important, fut de les éduquer au travail. En ce temps-là, la culture du
vers était en vogue à soie. Il organisa donc une colonie agricole pleine de mûriers;
et construisit une magnanerie et une mini filature à
la maison. Et puis un laboratoire pour la confection de gants, chaussettes,
mailles. Mais surtout de couture et de broderie, disciplines qui se révéleraient toujours
utiles aux orphelines quelle que soit la position où elles se retrouveraient
dans leur vie future. Quant à l’instruction primaire elle n’était pas, en ce temps-là,
générale et obligatoire. Cependant, le p. Louis, l’introduisit dans le
programme de la Maison et s’occupera en personne des petites filles en difficultés
afin qu’elles apprennent à lire et à
écrire.
Dans la formation du caractère,
le p. Louis n’admettait ni feinte ni malice ; au contraire, il savait
comprendre les filles vives, ou même polissonnes, pourvu qu’elles fussent
franches et ouvertes ; en quelque
sorte façon il les préférait même.
Naturellement, il accordait la
plus grande importance à une solide formation religieuse.
On devine clairement le modèle
de fille que le p. Louis voulait former dans son institut : saine, active,
sincère, honnête. Sans sophistication excessive, mais capable d’être une
« femme forte », comme en font l’apologie les Ecritures.
Les premières collaboratrices
Pour éduquer les orphelines, le p. Charles et le p. Louis recrutaient quelques bonnes
filles, couturières de préférence. Simples, mais dotées de l’esprit de
sacrifice et de bonne volonté, qui sachent préparer de bonnes ménagères et de
braves domestiques. Naturellement le p. Charles sélectionna
les plus fines. Quant au p. Louis, il recruta les deux
plus humbles.
L’une d’elles fut Ursula Baldassi de Buia.
L’abbé Louis s’en allait de par
les bourgs de cette grande paroisse, en quête de bois pour la nouvelle
construction ou de maïs, lorsque des rustres commencèrent à l’importuner
sérieusement. Orsola, émue par l’humilité de ce
prêtre, réprimanda ces malotrus, prit les rênes de l’âne et continua tranquillement
la recherche.
Elle finit même par seconder le p. Louis dans son œuvre.
L’autre fut une
enfant illégitime, Jeanne Marie. Le p. Louis la vit, en
passant, lorsqu’elle était en train de carder sur le seuil de la maison et
l’invita à servir dans la Maison. Elle répondit que cela lui était impossible,
faisant allusion à sa naissance, mais elle céda aux insistances de l’abbé Louis
en disant qu’elle travaillerait volontiers gratuitement, pour quelque temps, au
service des orphelines. Et, en fin de compte, elle resta à la Congrégation.
Pour servir le Seigneur, pensait l’abbé Louis, et aider
les pauvres, rien de mieux que ceux qui ont connu la pauvreté et l’abandon.
Quand l’œuvre atteint une certaine stabilité, le p. Charles ne douta point de ce qu’il devait faire.
D’abord, il tenta de perfectionner le group des Maîtresses
en recrutant une sœur licenciée, de noble famille, sœur Jeanne Colloredo. Puis, il entama les formalités afin de confier
l’Oeuvre à une congrégation qu’il avait déjà testée, comme les Canossiennes ou les Rosminiennes.
Il finit par se ranger à l’avis de son frère cadet, qui lui dit probablement:
« Pourquoi nous tourmentons-nous tant? Ces jeunes
sont novices, mais elle ont l’esprit de sacrifice et se sont sacrifiées pendant
des années. Ayons confiance en elles! Elles se perfectionneront avec la grâce
de Dieu…
Et ainsi, le jour de Noël de l’année 1845 la Congrégation
naquît à côté du berceau de l’Enfant Jésus.
Jésus vif et
présent dans le pauvre
On peut dire que le p. Louis fut
globalement actif. Mais nous savons qu’il aspira à la vie recueillie et
contemplative. On sait qu’il fut infatigable, un document de la Curie d’Udine
du 1849 le définit « très laborieux », c’est vrai qu’il vécut en perpétuelle union avec
Dieu, priant sans cesse, tant absorbé dans les choses célestes qu’il arrachait
le signe de croix à qui le croisait sur sa route. Aux sœurs, avec exemple et son
enseignement, il inspira le même amour de la prière, il leur demanda une solide
vie intérieure.
Mais comme elles devaient se consacrer aux œuvres
éducatives, aux malades, aux pauvres, il donna avec sa simplicité habituelle
les directives afin que leur âme ne tombât ni dans la dévotion formaliste, que l’on
confond souvent avec la perfection religieuse, ni dans la suractivités qui éloigne l’esprit du Ciel et de Jésus.
Un jour arriva au couvent un candidate comme il faut, qui
semblait née pour être placée dans une niche. Elle était accompagnée par son père
qui, en la laissant, baisa la main à cette sainte enfant. Le
p. Louis en resta ébahi. Nous verrons, observa-t-il, si elle résiste à battre
les draps et à nettoyer. Elle ne dura à peine que deux mois.
Elle se délectait de soupirs dévots et rechignait à la
besogne.
Il fallait travailler, il fallait aider les malades. Mais
Jésus devait rester toujours vivant et présent.
« As- tu lavé les pieds aux malades ? »
demandait-il à une sœur à ses premières épreuves dans un hôpital. « Oui,
Père ». Et il insistait « et as- tu baisé ces pieds ? » La sœur restait
bouche bée. C’est facile à dire, c’est
beau à dire, mais les baiser dans la réalité c’est une autre paire de manches.
« Non, ma fille, tu dois les baiser, car ce sont les pieds de Jésus. Tu
dois voir Jésus à travers les pauvres, ò travers les malades ». Et pour l’encourager
il les baisait en sa présence.
Les saints ont de ces exagérations : la vérité est
qu’ils prennent les choses au sérieux. Et s’ils disent qu’il y a Jésus dans les
pauvres, ils voient vraiment Jésus.
Les sœurs de la première et deuxième génération, qui avaient
grandi à l’ombre du Père, furent imprégnées de cet esprit de sacrifice
intérieur et extérieur.
Celles qui ne moururent pas d’épidémie de cholera et de
variole, et elles furent nombreuses, se consommèrent rapidement, la flamme de la
charité que le Père avait allumé dans leurs cœurs.
Dans le mystère du Christ
L’ascèse et la formation
spirituelle du p. Louis furent décidemment christocentrique.
Et dans le doux mystère de Christ, l’Eucharistie tenait la place de choix.
A travers l’Eucharistie il
cultivait le culte du Christ en croix, dans la pratique du chemin de Croix
qu’il accomplissait chaque jour, traînant ses genoux sur le sol nu, le baisant à
chaque station, en levant ses bras ouverts dans la contemplation et dans la prière.
A coté de Jésus il y avait
Marie, qu’il appelait toujours la « Maman ». Que beaux mois de mai il
faisait poindre dans l’église de S. Marie Madeleine et dans la chapelle des Abandonnés !
Exceptionnel fut, en outre, son
amour, sa tendresse pour Saint Joseph. Il était le maître de sa maison, le
Menuisier de Nazareth. Une de ses statues se trouvait sur le seuil, elle y est
encore, et le p. Louis lui accrochait au cou un sac lorsque les choses allaient
mal: « Saint Joseph pense-y toi ! » Tous les trois Jésus, Marie
et Joseph, se trouvent ensemble dans la maison de Nazareth, envers laquelle il fut
pratiqué un culte très singulier : il fit construire une petite église à Orzano exactement sur le même modèle et il voulut y être enterré.
Tous les trois il les trouvait
dans la grotte de Bethléem. Et, idéalement, près de cette grotte, à Noël 1845
il voulut que naquît finalement la Congrégation des Sœurs de la Providence, qui
avait été annoncée en 1837.
Humilité, humilité, humilité
La piété fut la nourriture et l’air
de son âme. Une vraie piété porteuse de vertu. De toutes les vertus. Mais de
quelle vertu en particulier?
De l’humilité.
C’est là que le
p. Louis enfonça le clou en lui et dans l’âme des sœurs. Il l’enfonça à la
manière de Saint Philippe Neri.
Il y avait une petite sœur qui était
coquette, non pas par instinct féminin, mais par nature. Un jour le Père la
conduisit, avec une autre sœur, à l’hôpital de Portogruaro.
On monte sur la voiture traînée par « Bagalin »,
le cheval de la maison ; et en avant par les chemins de ces temps-là,
pierreux et poussiéreux, vers Codroipo ; on passe
à gué sur la grève large du Tagliamento ; à travers les marécages de la
Droite. Imaginez comment on arrive en piteux état, entre cahots et poussière. Va
savoir ? Probablement la pauvre sœur, avant d’entrer à Portogruaro,
aura tenté un peu de se remettre en ordre.
Que fait le
p. Louis? Quand elle se fut arrangée, il lui mit sur les épaules son vieux manteau
déteint et la présenta ainsi à ses consoeurs.
Mais jusqu’ici il s’agissait d’humiliations
de l’extérieur. Le P. Louis voulait surtout l’humilité intérieure. Quelque fois
il semblait même dur et excessif dans ces épreuves d’humilité: Sœur Hélène Zuccoli et Sœur Cécile Piacentini
en donnèrent la preuve: toutes deux devenues par la suite soeurs supérieures. S’il
se conduisait ainsi avec les sœurs, il l’avait fait et le faisait avant tout
avec soi même.
Le P. Louis réussit tant à rester
dans l’ombre et à ne point se faire remarquer, qu’à la mort de son frère le P. Charles
on ne pensa pas à lui comme hériter spirituel de ses projets, mais à l’abbé
Pietro Benedetti. On le considérait bon porteur, bûcheur, guère plus.
On en mesurera les capacités et
l’élévation spirituelle seulement bien des années plus tard.
Liberté, mais pour la charité
Faisons un pas en arrière dans
l’histoire. Remontons aux lois juridictionnelles vénitiennes à partir du 1766, à
travers lesquelles la République mourante voulut mettre nez dans les affaires
ecclésiastiques. Ou bien pensons à Marie Thérèse, son impératrice et reine, et
à son fils bizarre Joseph II, surnommé le « roi sacristain ». Ou même
à Napoléon, lequel, après avoir d’une certaine façon rétabli la religion
catholique, démarche certes non désintéressée, alla chercher dans le martyrologue
un Saint Napoléon martyr et le 15 août, fête de l’Assomption, ordonna de fêter
le ce Saint (c’est à dire lui-même), au lieu de la Sainte Vierge.
Ou bien a l’empereur d’Autriche
François I, qui même s’il se déclarait « SMIRA », c’est à dire
« Sa majesté impériale royale apostolique », n’en continua pas moins à
faire le sacristain comme Joseph II.
On pense bien que les
bouleversements politiques en chaîne,
armées qui vont et qui viennent, les empereurs et les rois qui font chanter des
« Tedeum »
dans les églises, aujourd’hui pour l’un demain pour l’autre, sans parler des
papes traînés en prison, tout cela avait provoqué lassitude, envers l’autorité
civile, chez les peuples et défiance envers le clergé.
Et c’était pire encore si l’on se
référait aux autorités de proximité, aux employés locaux du gouvernement, aux
soi-disant seconds couteaux passés d’un régime à l’autre, éloigné et méprisants
vers la religion et l’Eglise.
Il semblait invraisemblable à
ceux-ci de pouvoir mettre des bâtons dans les roues aux initiatives chrétiennes.
On comprend alors pourquoi le
père Charles et le p. Louis voulurent mettre leur
œuvre à l’abri des ingérences gouvernementales, des contrôles, pour pouvoir
agir lestement et tranquillement porté par les ailes de la foi des promoteurs
et les aumônes spontanées des bons chrétiens. D’ailleurs, ce n’était tant le
désir d’être débarrassés des contrôles, que la volonté, plus élevée, d’affirmer
la solennelle liberté religieuse et surtout la jalouse liberté de la charité chrétienne.
Le p.
Charles et le p. Louis luttèrent pour rester libres dans l’exercice de la
charité, que ce soit sous le gouvernement autrichien ou italien.
Donnons à Dieu ce qui est à Dieu
et le p. Louis aurait donné à César ce qui est à César. Respect, obéissance et
taxes.
Il ne sollicita jamais César, si
ce n’est pour obtenir la liberté de la charité qui lui fut si chère. Il ne quêta
jamais d’aides aux autorités civiles, il ne les obséda avec des pétitions. Si
elles lui donnaient quelque chose, il acceptait reconnaissant ; mais il ne
demandait jamais.
Et quand, avec la prise des
écoles populaires à Primiero dans le Trentino et en Cormons dans le Goriziano, se
présenta la nécessité d’obéir aux dispositions gouvernementales autrichiennes
et de faire obtenir le diplôme de maîtresses aux sœurs, le Père obéit.
En conclusion, le P. Louis ne
demanda jamais rien, mais donna beaucoup à la société, il sauva de nombreuses
filles de la ruine et les transforma en éléments socialement utiles. Quant à
l’aide, il se contentait de ce que la Providence lui envoyait à travers la
charité privée. Surtout la menue monnaie qui provient des plus modestes. Parce
qu’il en coûte aux riches de donner; et s’ils donnent, parfois, et beaucoup, ce
sont plus les ennuis que de la joie.
Au son des
canons
Initialement le
p. Louis fut favorable aux mouvements du Risorgimento.
Son profond sens de justice lui fit accueillir avec joie, au début, la
pacifique révolution du 1848. Donnons à chacun ce qui lui revient, disent les
gens simples.
Le Frioul était en Italie. Si
les autrichiens s’en retournaient chez eux en paix, c’était une bénédiction du
Ciel. Cela ne fut pas ainsi. Udine fut assiégée et les coups de canon commencèrent
à pleuvoir. Que fit le p. Louis ? Aux sœurs, qui
n’avaient jamais éprouvé les horreurs de la guerre et pouvaient légitimement en
éprouver de l’effroi, il donna l’ordre de se rendre tout de suite dans les
centres de rassemblement pour soigner les blessés. Pour les encourager il leur accrocha
au cou une petite image sacrée et leur dit : « la Providence
vous aidera ».
Parmi les orphelines il y en a
une qui boîte. Il ne l’oublie pas. Il la fait porter au camp lui place une des
plus courageuses à côté. Il prodigue partout encouragements et prières. Les
sœurs, improvisées infirmières, s’imposèrent à l’admiration de toute la
ville ; elles soignèrent aussi le colonel autrichien Charles Smola, qui eut une jambe brisée à la porte Aquileia, et garda pour toujours une reconnaissance très
vive à ces anges de charité. On sait comment évolua par la suite le
mouvement du Risorgimento. Et le
p. Louis prit sans hésitation le parti du Pape. Il l’aima encor plus comme
incompris et persécuté qu’au temps des hosannas. Et il fut avec le Pape non
seulement par indéfectible discipline ecclésiastique, non parce qu’il voyait de
quelles impuretés s’était souillé à la cause nationale, mais surtout parce que,
une fois encore, il voulut affirmer le droit et la nécessité du plein exercice
du pouvoir suprême religieux de l’Eglise. Il ne voulait pas se mêler de
politique ou de questions juridiques, ni ne les comprenait.
En réalité, il prêchait dans un
désert de sourds et de sectaires: « Laissez libre Christ et celui qui Le
représente ».
Sans frontières
Il est naturel qu’une Congrégation
pense à son propre développement et à faire fleurir ses propres œuvres.
Le p.
Louis ne connut pas de limites pas du tout.
Ce qui l’intéressait était que
l’on que l’on fasse du bien et beaucoup de bien ; qu’on travaillât pour la
gloire de Jésus et pour le salut des âmes. Certes, il s’occupait pleinement de
la Congrégation des Sœurs de la Providence et des œuvres que, lui avaient
promises, Maison des Délaissées, Maison de Rééducation ou d’autres de S. Zita,
Institut pour les sourdes-muettes. Mais cet horizon n’était pas limité et exclusif.
Il eut à cœur le sort des vieux
prêtres du diocèse. A plusieurs reprises on avait tenté de fonder pour eux un
Hospice ; mais sans résultat. Il voulut essayer lui aussi. Et il chargea
un jeune prêtre, l’abbé Louis Costantini de Cividale,
d’acheter, à son compte, une maison dans ce but. Le projet échoua, mais le seul
fait de l’avoir imaginé suffit à montrer combien son cœur était ouvert à quelque
initiative sainte que ce soit.
En 1877 on pensa de fonder à
Udine un quotidien local catholique. Il y en avait trois ou quatre de tendance anticléricale.
Dans les notes du p. Louis on garde un morceau de
papier, où il avait numéroté de sa main les caractères typographiques d’une
page et les dépenses nécessaires pour les imprimeries de Rome. Le directeur du
journal « Le Citoyen italien », à sa mort, dira qu’il en avait été un
des principaux partisans.
Au milieu de la confusion régnante
il fallait s’adresser à la jeunesse. Et voici que l’archevêque, mons. Casasola, fait appel à l’abbé Giovanni Dal Negro en Vénétie
afin qu’il fonde un Patronat pour les
fils du peuple. Ensuite, sera institué aussi le Collège « Giovanni d’Udine »
pour les fils de familles nobles ou bourgeoises. Pour de telles œuvres il fallait
des capitaux. Un des premiers à en fournir fut le p.
Louis. Et puis, le voici signant lettres de change sur lettres de change, quand
les engrenages commencèrent à ne plus fonctionner.
Il assuma même les engagements des
autres, pourvu que les œuvres continuassent.
Tout par Jésus et pour Jésus
Le p.
Louis fut de constitution saine et robuste. Cependant il souffrit de fièvres rhumatismales
à répétition, d’herpès, d’une plaie à une jambe, qui à un âge plus avancé le jeta
à terre. Mais il ne voulut se soigner ni
que l’on s’occupât de son « frère âne ». Il y s’en occupait tout seul
à coup de cilices et de flagellations.
Il ne s’accorda pas de hobbies.
Par exemple : se délecter de musique, de littérature ou d’histoire, passer
quelque heure à la chasse à la pipée comme beaucoup…ou, pour le moins, bavarder
et converser avec des amis prêtres. Mais non! Église et travail, travail et
prière. Infatigablement, sans relâche. A part quelque voyage d’inspection et de
réconfort dans quelque maison lointaine, on le trouvait à son secrétaire, écrivant
des lettres ou tenant l’administration ; dans son misérable « bureau »
qui ressemblait plutôt un bazar, où il amassait tout ce qui pouvait être utile,
clous, ficelles…
Ou bien il faisait ses douces
mais substantielles et essentielles petites conférences aux sœurs, surtout aux
novices, en se substituant à la Mère Maîtrise malade. Et ici, l’on doit noter
qu’il délégua beaucoup à son cher abbé Fantoni, sans
jalousie aucune, content que les sœurs considèrent
son ami comme un père, heureux de rester dans l’ombre. Ou bien, naturellement,
on le trouvait devant le Très Saint ou agenouille devant le chemin de Croix. On
ne lui connut une seule distraction : des petits divertissements qu’il
faisait organiser avec soin, surtout à carnaval. Et il invitait ses
bienfaiteurs ; il invitait son père, quand il était encore en vie, lequel
s’amusait beaucoup. Mais lui il restait juste un moment et puis s’en allait.
Le p.
Louis ne voulut vivre que pour Jésus. Il ignora tout le reste qui n’eut
pour lui aucune importance. Il aurait pu répéter les paroles de Saint Paul:
« Je ne connais qu’une chose : Jésus et sa croix».
…mais à voix basse, en vie et en mort
La synthèse de l’esprit de Louis
Scrosoppi est nette et complète si, à la totalité du
dévouement, on unit aussi cette autre note, qui qualifie la caractère du
dévouement : à voix basse. Non seulement l’absence de manifestations d’éclat,
mais aussi la claire volonté d’aimer et de rechercher l’ombre, de passer
inobservé, d’être négligé et mis de côté.
Pas même dans sa vie de piété il
aima impressionner les esprit avec des manifestations éclatantes de sa ferveur
intérieure. Il voulait une piété solide, non voyante. En cela il était aidé par
le caractère régional du frioulan, qui évite les poses et les ostentations
comme la peste.
Quand les Sœurs de la Providence
firent leur entrée solennelle dans la maison de Cormons
au début de l’année 1866, le p. Louis n’assista pas à
la cérémonie. Il avait consacré des jours entiers à préparer la maison avec soin.
Le jour de l’inauguration, consacré quant il aurait pu être noté et attirer les
regards et la vénération de tous, il ne voulut pas rester. La veille il
retourna à Udine.
Il aimait vivre dans l’ombre, vraiment
dans l’ombre, au sens littéraire du terme, de son frère le
p. Charles, jusqu’à ce que celui-ci monte au ciel en 1854 et même sur son lit
de mort il ne voulut pas être appelé « fondateur ».
Il n’est guère resté beaucoup de
lui dans les traditions orales de la Congrégation des sœurs. Mais une tradition
est restée bien solide: le Père aima la discrétion et enseigna à l’aimer. Du
reste il avait bien insisté qu’il fallait ouvrer et souffrir ; mais il avait mis « se taire » au
premier rang. Et, nous disons, «être passés sous silence».
L’amour de l’ombre, qui avait caractérisé
toute sa vie, rejaillit jusque dans les dispositions qu’il donna pour sa tombe.
Il la fit préparer de son vivant dans la petite chapelle d’Orzano,
modelée sur la modeste Maison de Nazareth. Disons même qu’il prit lui-même protéger
et il ne fit confiance ni à ses amis ni aux sœurs ; Dieu seul sait le tapage
qu’elles auront fait autour de lui, pauvre homme. A ceux qui lui faisait
observer que sa résolution était inopportune, que ses filles et tous ceux qui
l’admiraient n’auraient pu aller souvent se recueillir sur sa tombe, que le
lieu le plus convenable était à Udine où
il avait mené son apostolat, il répondait : « Mais moi, je veux
être enterré à Orzano, dans la quiété
et le silence de la campagne, justement afin que tous oublient ce misérable pécheur.
Qu’ai-je donc été moi si ce n’est un obstacle? Il convient donc qu’une
fois mort je sois mis à l’écart. On dirait qu’il fut l’unique adversaire de sa
glorification devant les hommes. Il voulait disparaître afin que seul Dieu fût glorifié.
Les prodiges de la Providence
Nous nous
demandons si dans la vie du p. Louis il n’y eut de ces
manifestations surnaturelles propre à une
intime et précieuse sainteté. Cet homme qui mit les mains à là charrue et ne
retourna plus jamais en arrière, cet homme qui renonça à tout et à tous pour le
Seigneur, n’eut pas de Dieu quelque don dont il couronne les âmes saintes? Nous
n’en citons que quelques exemples.
De ces fumeux « prodiges de la Providence »
l’apostolat du p. Louis en est très rempli déjà dans
les premiers temps.
Que fallait-il faire quand il
n’y avait pas de pain ou que quelque créditeur aux trousses réclamait son dû et
qu’il n’y avait pas d’argent?
Rien d’autre que d’aller prier à
l’église. Prier Saint Gaétan, le saint de la foi prodigieuse dans la
Providence ; prier saint Joseph auquel l’abbé Louis était très dévoué et
qu’il considérait capable de trouver une solution à chaque chose; prier la Sainte
Vierge qu’il appelait et faisait appeler « maman ». Prier :
voilà le grand secret des miracles !
Les témoignages abondent qui
racontent comment alors il envoyait immanquablement les orphelines dans la
petite chapelle pour demander, dans le besoin ; et comment il les renvoyait,
ayant reçue la grâce, pour remercier.
Il y allait lui même, dès qu’il
pouvait. Et lorsque le Seigneur semblait les mettre à l’épreuve, en faisant attendre
longuement la grâce, il lui arrivait de se hisser sur le socle de l’autel et de frapper à la petite porte du
tabernacle.
« Un jour, sœur Jeanne alla
au grenier pour prendre du grain et le donner au meunier ; mais il n’y en
avait pas. Elle courut chez le p. Louis pour lui dire
qu’il n’y avait plus du grain.
Le Père
dit : « Vas au grenier et remplis les sacs ».
Et la sœur : « Père,
il n’y en a plus ».
Et lui: « va voir et tu en
trouveras »
La sœur obéit et y alla. En
ouvrant la porte elle s’émerveilla de voir le grain en grande quantité. Elle
remplit les sacs et il en resta encore beaucoup.
Un autre épisode nous a été
raconté de la bouche même d’un témoin oculaire : Angèle Martinis qui vécut
à l’Institut du p. Louis de 1865 à 1877.
« Un jour comme les autres,
midi sonne et nous nous bâtons vers le réfectoire pour manger ; mais les
tables n’étaient pas mises, car il n’y avait pas de nourriture. Que fit alors
notre bon Père ? Il nous rassemble et il nous exhorta avec de réelles
paroles à patienter et à avoir confiance en la Providence que nous en fûmes toutes
émues. Nous priâmes avec lui.
Et voici que peu de minutes
après, arriva une carriole remplie de vivres. On prépara sur le champ le
déjeuneur qui fut bon et abondant. Après avoir déjeuné allègrement, nous remerciâmes
Saint Gaétan et nous allâmes dans la cour de recréation ».
A court d’argent et de blé, l’économe
se rendit inquiète auprès du père.
« Vas au grenier, dit le p.
Louis, et prends tout le grain dont tu as besoin, la Providence veillera». La sœur obéit tandis
qu’il, après avoir prié, cache une petite image de S. Gaétan sous le tas de blé
qui restait encore.
Manquait deux mois à la nouvelle
récolte.
Tita, le maître
maçon, réclamant son salaire et celui de ses ouvriers. Le Père allait secouer les boîtes des aumônes et un éloquent silence
lui répondait. « Prions un peu ensemble, Tita !».
Puis il secouait de nouveau la boite et retentiraient les pièces…Le Père Louis
confessa : « Nous avons eu des moments difficiles, mais la Providence
ne nous a jamais abandonnés ».
Une des plus grandes calamités
de la divine Providence est d’oublier ses propres besoins pour aider le prochain.
Le P. Louis le savait bien.
Un jour se présenta à la Maison
des Orphelines un homme pour lui restituer un napoléon et sœur Strazzolini le guetta ardemment car la maison en avait un
grand besoin. Mais lorsqu’elle se rendit chez le Père, celui-ci avait donné entre-temps
le napoléon à un pauvre qui l’avait pris de court. « Calmez-vous, ma mère,
lui dit-il, Dieu y pourvoira. Et, en effet, peu de temps après arriva une subvention
inattendue pour les orphelines et les sœurs.
Ne manquent pas également les épisodes
de guérisons. Sœur Angèle Rodarom Supérieure à
l’hôpital de Trente, guérit immédiatement de ses douleurs rhumatismales après
que le Père l’eut enveloppé dans son manteau délavé.
Sœur Philomène est sur le point
de mourir à Portogruaro. Mais le Père le lui interdit,
car elle devait aller à Udine pour s’occuper des vers. Et elle guérit.
Des prophéties ? Sœur Ursule
Del Medico retourna à Udine avec sœur Philomène et
avec le Père. Elle se porte bien, mais le Père lui dit en toute sincérité de se
préparer à aller au Paradis. Peu après peu elle mourut.
Et de lui-même il répétait tant
que je n’aurait pas accompli douze œuvres, je ne mourrai pas ». Et ce fut
ainsi.
Non moins éclatants, mais enveloppés
de mystère sont les dons ou les faits mystiques.
Pas même de ceux-ci en est
exempte la vie du p. Louis. On en parle ici et là; et ce
qui est curieux est que ceux qui en témoignent ne savent pas ou ne se rendent
compte de l’importance de ce qu’ils racontent. Ils l’auraient vu en extase à
Udine, à Primiero, Tesero, bien
souvent une extase accompagnée de lévitation, c’est-à-dire du soulèvement du
corps de terre.
Dans un cas on parle de « luminescence »
du visage. Dans un autre, complètement inconsciemment, de ce phénomène qu’on
appelle « course mystique ». Il était là priant à genoux au milieu de
l’église et d’un coup je le vois volant sur la prédelle de l’autel avec les
bras ouverts, dans l’acte de s’entretenir avec quelqu’un.
Que le
p. Louis eût l’intuition des cœurs, cela ne fait aucun doute. Le recteur du séminaire
mons. Antivari, lui envoyant les vocations douteuses.
« Les Indes ! Les Indes ! dit-il à une fille qui rêvait de
devenir missionnaire- c’est ici que sont les Indes. Et il confiait à celle-ci
ou à celle-là les raisons secrètes de la mélancolie, ou démontrait de connaître
des événements de la passée complètement inconnus ou des tentations occultes ou
des escapades secrètes. Quelques-uns le tint à distance sachant ou craignant son
don.
Ce qui nous semble
extraordinaire ou incroyable, devient quasiment naturel pour qui vit en Dieu et a Dieu en soi.
Un saint est mort
Quand le
p. Louis mourut, à 22.40 de l’après-midi du 3 avril 1884, cette année-là jeudi
de Passion, toute la ville d’Udine l’acclama comme un saint. Son corps fut
exposé dans la petite église de Saint Gaétan. Immédiatement accourut une foule
de toute classe et condition sociale et la pitié indiscrète de beaucoup, qui
voulaient couper des morceaux de vêtement ou des mèches de cheveux, pour les
conserver comme des reliques, contraignit les sœurs à élever le cercueil de
façon à ce que personne ne puisse l’atteindre.
Le samedi matin la Messe fut célébrée
par le vicaire général Mons. Dominique Someda, qui
était son confesseur de longue date; et il proclama publiquement sa conviction
que le Père fût désormais dans la gloire des cieux.
Le quotidien catholique
« Il Cittadino italiano » (« Le Citoyen
italien ») parla de sa tombe en la comparant à celle de ceux vers lesquels
on se rend en pèlerinage. Un journal maçonnique lui dressa un tel éloge axé sur
la charité que l’on n’aurait pas évoqué un grand saint ; et il s’agissait
d’un adversaire reconnu, je dirai même plus d’un leader des catholiques
intransigeants. Et d’autres journaux non catholiques lui rendirent un similaire
hommage.
Le registre des défunts de la
paroisse de Remanzacco, dont dépendait Orzano, décrit l’enterrement comme s’il se fût agi de la procession
d’un saint et il fait référence explicite à l’espoir de le voir figurer parmi
les saints. Les habitants d’Orzano coururent sur sa
tombe comme on accoure à un lieu sacré, et il fallut énergie pour empêcher les
manifestations de culte.
A Orzano
et parmi les sœurs on commença de suite à parler de grâces obtenues par son
intermédiaire.
Grâces et faveurs
Une mère obtînt la guérison de
son enfant unique après un triduum tenu pour invoquer son intercession, de la fête
de Pâques jusqu’au 15 avril 1884. Un mois après environ, le 11 mai, un enfant
de seize mois mourut et son père en fut si affligé qu’il tenta le suicide plus
d’une fois. La mère Eletta Valussi
courut à la tombe du Père et le supplia de convaincre le bon homme à la résignation
chrétienne. Défait dans l’heure même il s’apaisa et le jour suivant il eut la
force d’accompagner son enfant à la tombe, se montrant tellement tranquille qu’il
suscita la surprise des habitants qui
avaient connu son désespoir.
Durant les vacances d’été de
l’année 1884, c’est- à- dire en août et en septembre, toujours à Orzano, on parla beaucoup de la guérison d’une plaie cancéreuse
attribuée elle aussi à des prières sur sa tombe.
La réputation de sainteté du p-
Louis se répandit peu à peu la Congrégation des Sœurs de la Providence se
diffusait dans les différentes régions d’Italie et d’Amérique Latine, et avec
elle grandit aussi la dévotion envers le saint.
Invoqué avec foi, il obtînt de
Dieu des guérisons de maladies les plus diverses maladies et du secours dans
les situations de grave difficulté. Beaucoup sont accompagnées de témoignages écrits
de la main des graciés, de narrations ou de certificats médicaux.
A la guérison suivit bien la
conversion nombreuses furent les personnes, qui à travers le p. Louis,
retrouvèrent Dieu dont elles s’étaient éloignées auparavant. De ces grâces et
faveurs, malheureusement, on en tint le compte que relativement tard ; toutefois
on en a enregistrées quelques centaines.
Les miracles
Le 31 janvier 1981, la cause de la
béatification du père Louis Scrosoppi aboutit avec la
reconnaissance des deux miracles attribués à son intercession. Qui furent les
deux graciés? Un jeune de 21 ans et un bébé de 40 jours.
En 1923, Rocco
Sartorelli de Tesero (TN), âgé
de huit ans, à la suite d’une contusion, eut une tuméfaction sur le dos de la
main gauche. Cela ne semblait rien du
tout mais en revanche… après beaucoup de soins ce que l’on craignait se réalisa :
on diagnostiqua une ostéomyélite chronique fistulaire probablement de nature tuberculeuse.
Treize ans de maladie, huit interventions chirurgicales, et avis médical
réitéré d’amputer la main.
Mais depuis l’année 1934, lorsque
le jeune rencontra la supérieure de l’école maternelle de Tesero,
une sœur de la Providence, un espoir s’alluma en lui et sa famille: invoquer
Dieu pour qu’Il guérisse l’enfant par l’intercession du père Scrosoppi. Dès lors, par périodes, un chœur de prières des proches,
parents et amis, dirigé par la maman de Rocco, s’élevait
à Dieu.
Cela semblait des prières non
entendues car, après la dernière médication du 6 juin 1936, le matin du 7 le
jeune, étendu sur le lit opératoire, attendait l’intervention. On lui débanda
la main et grande fut la stupeur des personnes présentes: même si les bandes fussent
pleines de pus, la main apparut complètement guérie. « Sainte Vierge, s’écria
le chirurgien, il est guéri » et il le renvoya vers la sortie. Peu de
jours après, il travaillait dans les champs.
Siro Marizzoli était né sain le 2 septembre 1942 à Belgioioso (Pavie). Le 11 octobre suivant, à l’improviste,
il tomba malade. Le médecin municipal avertit la gravité du mal et voulut
consulter l’avis du directeur de la clinique pédiatrique de l’Université de
Pavie. Ce dernier jugea le cas très grave. Il suggérait le transport à la
clinique, ne laissant aucun espoir de guérison. Le diagnostic fut rendu: encéphalite
très grave (avec phénomènes bulbaires). Les crises furent continues et si
graves que le médecin conseilla à la famille de reporter l’enfant à la maison
afin qu’il meure ; le père prit les dispositions pour l’enterrement.
Mais une sœur de la Providence, qui
était infirmière dans ce département, avait invité la maman de Siro à prier Dieu pour qu’intercéda du père Louis Scrosoppi : »Si nous obtenons Sa grâce, avait-elle
ajouté, cela servira pour sa béatification ».
La mère et le père, les sœurs de
la Polyclinique, tous prièrent. Du jour au lendemain, le 16 octobre, se
produisit une incroyable amélioration des conditions générales de l’enfant, et
le 23, Siro sortit de la clinique, parfaitement
guéri.
Il grandit en bonne santé,
étudia, devînt comptable et aujourd’hui il a fondé une famille.
Dès lors dans les deux familles Sartorelli et Marizzoli, et dans
les nouvelles familles de Rocco et de Siro, on n’oublia pas la dévotion au père Louis.
Prière
Père miséricordieux
Qui à travers le Seigneur Jésus
Christ soutient l’humanité avec le don de Ton Esprit, nous te remercions pour
la force de l’amour que Tu as accordé à Louis Scrosoppi.
En lui, nous admirons la lumière
de la sainteté de sacerdoce, la splendeur d’une vie qu’il T’a consacrée et le
dévouement aux besogneux et aux faibles.
Avec confiance nous te demandons
que dans l’Eglise brille la sainteté des tes ministres, refleurissent les
vocations à la prêtrise à la vie religieuse et que s’affirme le choix de servir
ses frères les plus pauvres.
Amen.
La vie de saint Louis rapportée
jusqu’ici, bien qu’elle résume fidèlement ce qu’a écrit le biographe Mons. G. Iasutti, reste cependant une “synthèse” qui naturellement
traite le sujet mais sans l’épuiser.
Selon le narrateur, il y a
quatre moments importants de la vie du père Louis qui doivent être au moins
soulignés :
1. quand le père Louis, à peine
devenue prêtre, décide de renflouer les finances de la Maison des Orphelines, réduite
à une telle étroitesse, que la fermeture semblait inéluctable.
2 quand, à la Maison des Orphelines
mûrit l‘exigence de donner vie à une Congrégation religieuse de sœurs, qui assume
la mission et la responsabilité de diriger la maison.
3 quand la Congrégation se
consolide autour aux neufs premières sœurs qui après seront appelées « Les
Anciennes Mères ».
4. quand les soeurs de la
Providence devenues majeures à la Maison des Orphelines, acceptent de sortir à l’extérieur
pour exporter leur œuvre, leur expérience et leur amour dans les hôpitaux ou
dans d’autres réalités du besoin.
Extrait du livre:”Per
i più poveri”, Maria Papàsogli-Zalum Giorgio Papàsogli (II chapitre).
L’abbé Louis devient
un mendiant
La Maison des Derelicts
traversait une période de grande crise : les bilans était confiés à la
charité de la population, et les « bienfaiteurs » lassés semblaient
avoir oublié que, entre ces murs, les besoins se représentaient identiques
chaque jour; les restrictions financières devenaient pénibles ; les
petites filles maigrissaient à vue d’œil et le p. Charles et l’abbé Louis se
demandaient comment maintenir la barque à flot.
L’œuvre qui coûtait tant de
pensées aux deux frères avait en fait une dimension réduite ; elle se
nichait dans la réalité dans un édifice minuscule : une petite maison donnant
sur la rue, qui mesurait dix-sept mètres de front, environ cinq mètres de
hauteur et huit de profondeur; derrière la maison il y avait un jardin potager dont
les modestes richesses égayaient la table des orphelines. Ce tout organisé sans
façon, et une pointe de fantaisie et d’improvisation : le grenier, par
exemple, était utilisé comme dortoir…Dans les salles plutôt rustiques les
petites filles, vives et joyeuses malgré le nom mélancolique de « délaissées »,
gambadaient, jamais rassasiées de pain, de jeux et d’amour.
L’édifice, un temps propriété de
madame Paola Florenzis, était passé au début du XIXe à la Maison des converties ; mais de
1815 à 1822 le loyer avait été payé par le comte Alvise
Ottelio et ainsi le nom du bienfaiteur était resté
lié à l’institut, connu aussi comme « œuvre Ottelio ».
Une fois expiré le contrat de location, le p. Charles, devenu directeur des Délaissées,
s’était pris la charge du loyer, qui payait avec ponctualité en versements semestriels,
chaque 31 janvier et 31 juillet.
Le p. Charles payait donc le
loyer et dirigeait la vie de l’institut : entre temps, l’abbé Louis
souffrait et prenait toujours plus à coeur les problèmes des petites hôtes,
pour lesquelles la maison exigu de madame Florenzis
représentait un monde protecteur et ami. Désormais les visages de ces enfants
ne visitaient plus épisodiquement les pensées de l’abbé Louis; elles en étaient
les maîtres, à présent qu’il se trouvait être non plus parmi les visiteurs,
mais parmi les responsables de l’institut.
La maison devait recommencer à
vivre. Le p. Charles tenta d’obtenir des aides de la part du gouvernement
autrichien; l’abbé Louis fit: il paya de sa personne, avec une série des gestes
qui, pour la première fois, d’un coup, le révélèrent.
On était en mars 1829, un âpre
et venteux début de printemps, dans la campagne sereine d’Udine qui se trouve près
de montagnes. Pendant cette saison qui avait le goût des choses neuves, l’abbé
Louis apprit un nouveau « métier » : tendre la main, comme un
pauvre mendiant, sur le long de rues de la ville et des routes des champs :
il demandait de l’argent, du pain, des fruits et des légumes et il demandait de
la viande, car c’est surtout de viande que les orphelines avaient besoin. Il
demandait, en dominant sa rougeur : Udine était sa ville et à chaque
détour, il voyait des visages trop bien connus…les coups d’œil incrédules et
moqueurs, les sifflets des petits voyous devinrent son pain quotidien. Sur tous
ces visages on pouvait lire la même question:
« L’abbé Louis Scrosoppi, ce jeune prêtre tranquille de bonne famille, de
bonne manières, un style de vie sans aventure et sans excès, est-il donc devenu
fou ? ».
Chaque pas que faisait l’abbé
Louis dans les rues d’Udine devenait de la sorte une rupture avec son passé tranquille,
un défi tranquille à la mentalité bien rangée des bien pensants, une victoire
dans l’imitation et le sillon de l’humble Seigneur.
Il retournait chez lui avec son cabriolet
chargé de dons et il voyait courir à Sa rencontre les petites filles en fête
qui s’accrochaient à sa soutane: « Gigi, dàmi cicin… ».
Ce cri confident récompensait
l’abbé Louis de toutes les amertumes qu’il devait avaler pendant ses parcours.
Si Udine riait et murmurait,
parfois les gens de campagne réussissaient à être plus rudes : ce quêteur
anticonformiste devenait un signe de contradiction : il recevait la
réponse généreuse et l’insulte, et c’étaient deux genres très différents de
richesse que le p. Louis accumulait patiemment. Un jour, dans un petit pays aux
alentours d’Udine, un homme auquel il s’était adressé lui répondit avec une gifle : le p.
Louis, impulsif et tout feu de nature, réussit à sourire : « Cela
c’est bon pour moi ; mais qu’est que Vous me donnerez, maintenant, pour
mes orphelines ? ».
L’homme ne s’attendait pas une
réponse semblable; il regarda avec des yeux nouveaux celui qu’il avait
considéré un bigot désoeuvré et rougit. Ce jour-là, le cabriolet du p. Louis
rentra plus chargé que d’habitude et beaucoup de dons avaient été déposé par la
même qui avait allonger la gifle.
Le p. Louis dépensait ainsi
toute sa force de tempérament, en persévérant sur des chemins peu sûrs :
les préalables pour sa vie d’animateur, de directeur et de serviteur des
pauvres étaient déjà présents dans son humble, tenace flâner. Et cependant,
lorsque la l’appel à la charité portait ses fruits au plus profond de son être,
il y eut un silence apparent: vers 1830, Louis sembla se détacher du
chemin embrassé.
Pas lointain de la Maison des
Délaissées il y avait un couvent de capucins, récemment rouvert, après la
suppression du 1807. Le p. Louis y passait devant, en
effleurant le secret de la vie communautaire qui tournait à fleurir à
l’intérieur de ces murs. La spiritualité franciscaine le fascinait avec son
invitation à la pauvreté joyeuse, avec sa pure témoignage évangélique : depuis
du temps en Louis frémissait la volonté d’un don intégral. Mendiant pour les Délaissées,
il est toujours le fils protégé de maman Antoinette et sentait la cassure qui
se profilait dans sa vie : il s’était engagé dans un sentier exigeant et osé
un comportement nouveau, mais, le soir, il rentrait dans la maison paternelle,
en retrouvant les vieilles habitudes et les paisibles valeurs humaines qui
semblaient une limite à la liberté de l’esprit. Un froc, une règle, une vie
communautaire orientée à la recherche de la perfection, auraient calmé
l’anxiété de Louis, ils auraient été une sûreté sur le chemin de l’intégralité
évangélique vers laquelle le jeune tendait. Puis, lentement, cette pensée se
transforma ; le p. Louis comprit plus à fond sa
vocation. Il y a celui qui se sanctifie en suivant une voie parcourue par tous,
dans un contexte fait de stabilité, et celui qui doit se frayer son chemin tout
seul ; et Louis Scrosoppi comprit que celle-ci
était sa tâche. Peut-être, il comprit que le vrai point de repère pour sa vie
n’aurait pas été le couvent des capucins, mais la petite maison qui était près,
avec son grenier où en hiver le vent sifflait et où les créatures sans défense
d’Udine cherchaient de dormir. Les petites filles abandonnées : ce premier
amour du p. Louis n’était-il aussi une règle et une vocation ? En ce
temps-là, il écrivait deux grandes rubriques où il rassemblait des réflexions
ou nouvelles concernant des thèmes qui l’intéressaient. A propos de la « vocation », on
trouve des lignes révélatrices :
« Pour être saints, il ne
faut pas croire de se retirer en religion, ou en ermitages. Dans un sermon fait
aux religieux du désert S. Augustin dit : « Voici, nous sommes
dans la solitude ; cependant ce ne sont pas la prière et le chant
liturgique à faire les saints, mais c’est le bien opérer qui sanctifie le lieu
et nous même. Si en fait les lieux puissent sanctifier ceux qu’ y habitent, ni
l’homme ni l’ange seraient précipités par leur dignité ».
La conception de la sainteté
formulée ici paraîtrait en contraste avec l’image, qu’un jour, les
contemporains se seraient fait de Louis Scrosoppi ;
attentif jusqu’aux plus petits détails des règles, tenacement attaché à la
lettre qui garde l’esprit. Dès lignes à peine lues, apparaît une vision toute
intérieure de la vocation, mais pas plus délicate ; au contraire,
profondément exigeante et liée à la suggestion d’une donation totale.
En s’éloignant lentement de son rêve
franciscain, le p. Louis médita sur cette réalité. Il souffrit, peut être, pour
avoir renoncé à cet humble et domestique horizon de perfection qui lui était
suggéré par les images du couvent ? Son ministère se serait exécuté avec
un contact plus serré avec le monde et dans un plus direct service des
pauvres : ce fut une heure d’épreuve qui aurait éclairé toute la vie du p.
Louis. Son renoncement graduel et radical à chaque compromis avec les valeurs
terrestres commença avec la décision prise en 1830, avec la sereine et lucide
compréhension que ce n’est pas le lieu à nous rendre saints, mais que « le
bien opérer sanctifie le lieu et nous même ».
La Congrégation est née
Sous la direction du p. Louis, le petit groupe de jeunes maîtrises faisait au
sérieux. Donc, une problématique précise se présentait : faillait-il
maintenir le premier projet de faire entrer les membres de la Congrégation dans
un autre ordre, déjà existant et étrange aux débuts de l’œuvre ? Où même, s’orienter vers la
création d’une nouvelle petite Congrégation, née par l’œuvre des
Délaissées ?
Dans un premier temps, le but de
l’autonomie ne resta clair que pour le p. Louis : il désirait avancer dans
la construction d’une Congrégation nouvelle, même s’il partagea le projet du p.
Charles en ce qui concerne des familles religieuses existantes, en particulier
les rosminiennes. En fait, le
p. Charles, comme nous avons déjà dit, était convaincu de tout confier à des
religieuses d’un autre nom. Se serait crée ainsi une division à l’intérieur de
la Maison, si le p. Louis n’eût renoncé à sa façon de voire, jusqu’à quand les
circonstances, la Providence, n’eût mené selon la même lumière aussi le p.
Charles. Silence et collaboration difficiles, parfois héroïques ; des
années lentes d’incertitude qui, l’une après l’autre, virent les événements
mûrir selon des voies que les hommes ne peuvent pad prévoir. Tournons un moment
en arrière dans le temps, pour reconstruire touts les moments de cette
évolution : la première tentative de confier la Maison à une autre
Congrégation religieuse remonte au temps de la reconstruction de
l’édifice : en 1835, le p. Charles eut des contacts avec Madeleine de
Canossa, fondatrice des Filles de la Charité de Vérone et avec elle il prit des
accords pour confier l’œuvre aux Filles de la Charité, une fois que la Maison
fût entièrement reconstruite.
L’accord fut pris et devint
précis ; il semble même que Madeleine de Canossa eût prévu la forme du
passage de l’Institut à sa Congrégation : mais la fondatrice mourut dans
la même année 1835, et avec elle mourut aussi le projet tant ambitionné par le
p. Charles. Après un an, le père Filaferro parla de
son problème à une religieuse visitandine, sœur Marianne Thérèse Cossali, du monastère de Saint Guy au Tagliamento : le
monastère avait probablement en p. Charles une de ses guides spirituelles, et
la connaissance avec sœur Cossali naissait peut-être
par une liaison de direction intime.
Sœur Cossali
commença donc des négociations avec un ordre religieux, mais elles n’eurent le
cours désiré. Les sœurs se consacraient à l’éducation raffinée de filles aisées
et, en plus, elles devaient s’occuper du cloître et des voeux solennels :
comment les mettre avec les maîtrises des
Délaissées, si dociles au quotidien, dans la Maison de la Providence avec sa
chapelle de fortune, avec sa porte toujours ouverte aux dons et aux exigences
de la Charité ?
Le p. Charles pensa avec
nostalgie aux filles de Madeleine de Canossa et prit contact avec la nouvelle supérieure,
soeur Angèle Bragato : mais l’accord avec la
fondatrice disparue ne fut pas renouvelé.
Donc un projet timide commença à
se profiler : pourquoi ne pas reconnaître comme une nouvelle Congrégation,
le groupe de figures si différentes mais si unies, que
mûrissaient rapidement ?
En 1840, s’annonça l’espoir
d’une vocation portatrice de tous ces éléments duquel
la communauté manquait encore : une expérience mûre de vie religieuse,
éducation complète, personnalité remarquable ; Jeanne, dans le siècle
comtesse Julie de Colloredo, parent du premier
commissaire du gouvernement des Délaissées, comte Fabius Colloredo,
a été pour plusieurs années avec les soeurs et avait décidé d’en sortir pour
des raisons qu’en partie nous échappent (peut-être pour une entente mûrie à fin
qu’elle pût donner une contribution à la Congrégation
naissante).
Lorsque Jeanne fut résolue à
entrer dans la Congrégation des Délissées, en 1841, il parut qu’avec elle dût se réaliser la transformation tant attendue et la
croissance intérieure de la communauté : son arrivée fut, pour le groupe
religieux sans nom, un grand jour d’espoir.
Marguerite Gaspardis,
la maîtrise aux cheveux gris, désintéressé et humble, qui avait mené le groupe jusqu’alors,
fut prête à donner sa démission, en cédant sa place, à celle qui arrivait déjà ceinte
d’une auréole de prestige. Son généreux geste suscita admiration :
l’évêque Lodi, ému, intervint personnellement pour demander que lui fût
prolongée la charge de mère : en réalité, Jeanne Colloredo
ne devint supérieure que le 18 mars 1842, après avoir familiarisé avec le
nouveau milieu et connu les caractères et les âmes.
C’était la veille de Saint Joseph:
le saint le plus cher à l’abbé Louis présida silencieusement à ce passage
d’autorité vécu en esprit de service. Un peu d’apprentissage avait été
nécessaire aussi à Jeanne Colloredo qui, peut-être,
dans son expérience de vie religieuse n’avait jamais éprouvé la fatigue et la
pauvreté. Puis, tout recommença sereinement, tandis que la présence de la supérieure
donnait à l’œuvre une nouvelle impulsion, même sans révéler cette capacité
constructive, cette définitive force de formation dans laquelle le p. Charles et l’abbé Louis avaient espéré.
La Maison des Délaissées voyait
continuellement se recomposer dans la paix un contraste charmant: sœur Jeanne Colloredo avait porté une note de distinction culturelle et
sociale ; mais en même temps arrivaient de nouvelles recrues qui, comme
les premières « maîtrises », étaient fraîche filles du peuple, sans
aucune qualité et sans autre éducation que celle du cœur. De leur passé nous ne savons pas
beaucoup : on sait seulement qu’elles étaient jeunes et enthousiastes et
constituaient le vrai nerf de l’institut : beaucoup d’elles avait été
« choisies » par l’abbè Louis, selon une
logique caractéristique. Il avait cherché les plus humbles et déshéritées, en
visant à une qualité précieuse : la foi et la capacité d’aimer avec
sacrifice, dans le contexte de vie des Délaissées qui effarait ceux qui ne commençassent
pas bien, prête à s’oublier.
L’abbé Louis, peut-être, savait
que seulement des jeunes déjà trempées par une vie difficile auraient pu
persévérer joyeusement.
Ursule Baldasso
fut la première d’un vrai groupe : deux jeunes étaient entrées dans
l’institut en 1837-38, et avaient porté une note de rude franchise :
Jeanne Ariis, tertiaire, et Madeleine Morassi, converse. Madeleine avait une limpide voix
montagnarde et remplissait la maison d’Udine avec ses simples chansons qui,
parfois, ennuyaient les autres hôtes de l’institut…mais sa spontanéité
désarmait les intolérants qui la reprochaient.
En 1842, après la nomination de
sœur Jeanne Colloredo, l’abbé Louis fit un autre
« choix », qui est un singulier exemple de son, presque surnaturelle,
intuition des âmes. Un jour, il vit sur le seuil de la maison une fille qui cardait :
peut-être il avait entendu parler d’elle, peut-être il savait qui fût, mais il
ne l’avait jamais approchée; il lui adressa la parole, l’invita à collaborer
dans la Maison des Délaissées.
Jeanne, le nom de la fille,
était habituée à être ignorée et évitée, puisque, pour la mentalité du temps,
pesait sur elle une sorte de limitation : elle était fille d’inconnus.
Elle n’avait jamais pensé à entrer dans un ordre religieux, parce que dans sa
condition était vraiment difficile. En se sentant invitée avec beaucoup de
simplicité, elle tenta de résister, elle voulut s’expliquer : mais l’abbé
Louis avait compris que la réalité de Jeanne dépassait les limites dans
lesquels elle avait toujours cru de devoir vivre. Dans l’institut, la jeune se vouait
aux travaux agricoles, aux vers à soie, aux activités les plus simples, et sa
contribution fut une particule parmi beaucoup qui devaient édifier la maison des
orphelines : qui mieux d’elle pouvait les comprendre ? S’elle n’avait
jamais eu un foyer, Jeanne fut la première à se consacrer avec enthousiasme aux
filles dans lesquelles elle revoyait sa propre jeunesse et souffrance.
Une quatrième recrue de l’abbé
Louis fut Dominique Batigello, entrée en 1844 :
elle resta tertiaire toute la vie, pour pouvoir aller mendier la nourriture que
les orphelines attendaient : un engagement pour lequel ne fallait pas habileté,
mais bon cœur, humilité et promptitude au sacrifice. A Dominique ces qualités
ne manquaient pas, et ses années passèrent sans fatigue, dans le serein flâner.
Se délinéait ainsi, à travers l’enchevêtrement
des tâches, la structure de la communauté : la campagne confiée à sœur
Jeanne, l’aumône à sœur Dominique, la cuisine et le ménage à sœur Madeleine et
à Jeanne Colloredo, qui, dans le siècle, avait connu les
coutumes de personne aisée et raffinée. La réalité domestique dans le nouveau
Institut naissait ainsi par la rencontre parmi l’une et les autres, à l’ombre
de la forte concorde entre le p. Charles et l’abbé Louis, lesquels, les
premiers, offraient un exemple parfait de fraternelle, chrétienne
collaboration.
Le p. Charles et l’abbé Louis
avaient donc espéré en sœur Jeanne Colloredo pour cimenter
spirituellement le groupe naissant ; d’autre part, après le début, ils recommencèrent leur recherche d’une
Congrégation déjà adulte qui succédât pleinement à l’œuvre, et ils s’adressèrent,
cette fois-ci, à un groupe de religieuses liées à une grande
personnalité : les sœurs de la Providence fondées par Antoine Rosmini.
Antoine Rosmini,
même s’il n’avait encore rejoint le sommet de sa pensée et de son activité,
était une figure haute et influente dans l’horizon de l’Italie du XVIII siècle.
Le p. Charles avait eu occasion de le rencontrer. Des
années auparavant, quand il était arrivé à Udine et il y avait fondé un groupe
de la « Société des Amis » ; en plus, de ce groupe le p. Charles Filaferro fut animateur
et directeur. Il y avait donc un lien déjà solide, basé sur une connaissance
personnelle et une expérience de collaboration entre Antoine Rosmini et le frère de Louis Scrosoppi.
L’évêque accueillit volontiers
l’idée du déplacement, son approbation ne se fit atteindre, tandis qu’obtenir
le consentement de la cour impériale fut plus long et laborieux.
Ce retard sembla, sur le moment,
une difficulté fâcheux et un obstacle pesant : en réalité, l’intervalle entre
le projet et son réalisation permit le mûrir de nouveaux événements, qui firent
changer l’idée aux deux prêtres d’Udine.
En premier lieu, un fait d’ordre
politique et bureautique. La provenance des sœur rosminiennes
et la figure de leur fondateur auraient rendu plus difficile la vie de
l’Institut des Délaissées et mis en péril cet autonomie par l’ingérence gouvernemental
qui importait beaucoup aux deux frères. Peut-être, même la méfiance qui
commençait à s’étendre dans le monde catholique vers la pensée philosophique du
Rosmini, ne fut pas étrangère.
La faillite du projet plut aux
maîtrises, la majorité desquelles ne désirait pas être absorbée par une autre congrégation
et avait aussi exprimé l’intention d’abandonner l’œuvre si cela se fût vérifié.
Fut à ce point que l’abbé Louis,
poussé par l’Esprit Saint et riche de sens pratique, saisit dans la situation
un signe plus évident du projet de la Providence. Le p. Charles, homme de foi
et d’humilité, vit dans le projets échoués la volonté de Dieu, fit propre
l’intuition de son frère Louis et lui laissa l’ardue mission de modeler ce
petit groupe de maîtrises et donner vie à une nouvelle famille religieuse.
A partir de ce moment, un
engagement de paternité plus délicat et plus lourd pesait sur l’abbé Louis. Le p. Charles l’aida avec son expérience et sa collaboration
est évidente surtout dans la rédaction des premiers « Règles générales
pour les maîtrises de l’Institut des Délaissées », imprimées en 1848.
Le 10 septembre 1845, expiré le triennat
de son mandat, sœur Jeanne Colloredo renonça à la charge
de supérieure, en rentrant paisiblement, avec ses manières gentilles, sa
culture et son expérience, dans les rangs des maîtrises. En Noël de la même
année fut définitivement constituée la Congrégation d’Udine :
« autorisées par l’ordinaire diocésain » quinze sœurs portèrent la
robe brune, et le même jour, onze parmi elles « sans s’obliger aux vœux, proposèrent
fermement d’observer avec tout le engagement les trois vertus de la pauvreté, chasteté
et obéissance », sous la protection de S. Gaétan Thiene,
choisi comme le plus grand ami de famille, dans une cérémonie émouvante pour simplicité.
Du 1 février jusqu’au 25 décembre
1845, le tourment des sœurs de S. Gaétan s’était développé très lentement :
leur vocation avait été éprouvée, purifiées dans le creuset de circonstances
pénibles et contradictoires, et avait désormais une transparence cristalline: consolidé
par les incertitudes du parcours accompli, le « oui » des religieuses
était un complet acte de détachement spirituel et d’abandon au dessein que le
Père avait prédisposé pour elles.
Les Mères Agées
Tiré du livre « Tutto di Dio – P. Louis
Scrosoppi » de G. Biasutti
(chapitre 31)
Une source d’eau pure et très fraîche
jaillit là-haut par la roche à demi mont : et bondit et jaillit sur les
pierres et chante en courant à l’ombre des pins. A mesure elle grossit: mais l’allure
est toujours également fougueuse et le chant croît.
Mais il est nécessaire que dans
un certain moment, dans la vallée, l’impétuosité s’affaiblisse et la vague coule
plus pacifique, pourtant toujours féconde, parmi de brèves berge, donc parmi des
levées puissants. Gare s’elle continuât avec l’air de la source!
Ce fut à la Mère Cécile Piacentini, élue supérieure générale le 12 octobre 1880, de
canaliser la congrégation encore jeune et de lui donner un rythme sûr et constant,
selon les Constitutions et les Règles approuvées définitivement par la Sainte Siège
en 1892. Donc, elle est appelée justement la « cofondatrice » dans la
belle biographie que a écrit sœur Marguerite Makarovic.
Mais je voudrais les rappelées une
à la fois. Mais qu’est-ce que je pourrait faire, dans un bref article, si non
une aride liste de noms, qui ne signifierait rien à ceux qui lisent et ne
connaissent pas les figures de ces héroïnes ? Quelques unes, en réalité,
je les ai rappelées dans les articles précédents. Comme sœur Ursule de l’ânon,
ou la naine concierge sœur Philomène, l’impétueuse et active soeur Hyacinthe,
ou le “Carabinier” soeur Osanna, ou le porteur de la
Providence sœur Dominique, ou l’humble sœur Jeanne, arrachée par le seuil et par
la triste condition pour l’élever à épouse de Christ…
En étudiant minutieusement la
vie du p. Louis je me suis arrêté, je voudrais dire par force, à contempler les
sœurs vécues avec lui, et j’en suis resté enchanté. Peut-être c’était le Père
lui-même qui me suggérait tels répit, à fin que j’admirasse ses chères filles
spirituelles. Mais je fus contraint par le sujet,
puisque dans les filles je cherchais l’empreinte du Père.
En 1942, en pleine guère, je allai
à Tortona dans la Maison des Orionini.
Puisque j’était retourné vif de la Russie, je me proposais de développer dans
un Petit « Cottolengo » frioulan,
qu’aujourd’hui fleurit en Sainte Marie La Longa, la
Petite Maison F. Ozanam, qui était née des mes mains en 1933. Et je voulais
demander à l’abbé Sterpi s’il l’aurait accepté.
Lorsque je l’attendais, je fixai longtemps l’image du serviteur de Dieu l’abbé Orione, image que j’avais vu beaucoup de fois. Plus tard,
j’allai dans l’orphelinat, qui alors était près du Sanctuaire de la Vierge de la
Guardia. Et dans le visage des sœurs, dans le même
visage des orphelins (je me rappelle qu’ils étaient tondus à ras), il me sembla
de revoir les mêmes lignes de l’abbé Orione. J’ai encore
vive cette étrange impressionne.
Ce n’est pas possible de vivre à
côté d’un saint si longtemps sans recevoir une quelque empreinte de son
puissant esprit. Cela arriva à ces Mères Agées, que le
p. Louis forma et façonna. Si je tente de me les représentées avec
l’imagination, PUR en savant que celle était une grande femme et cette une toupie,
celle forte et saine, cette douce et délicate comme une Vierge, en toutes il me
semble de revoir le Père, je ne réussis à voir que le Père.
En réalité, en presque cinquante
ans, depuis 1837 jusqu’au 1884, parmi les mêmes « Mères Agées » on
peut noter quelque différence.
Il y on a celles de la « première
génération », à peu près jusqu’à la mort du p. Charles (1854) ou de la
supérieure Lucie De Giorgio (1855), qu’on peut appeler « les pionniers du
printemps héroïque ». Et celles de la deuxième depuis 1855 jusqu’au 1872, la
vocation desquelles fleurit et se trempa dans des années difficiles et agitées.
Et celles de la troisième, crues dans l’époque la plus tranquille et régulière
depuis 1872-75 jusqu’à la mort du père Louis, quand les files augmentent, quand
le vieux ruisseau d’eau frioulan s’introduisent l’enflé canal de Trente et les premières
vagues illyriennes, quand la Congrégation est désormais fortifiée au vol des prophétisées
douze Maisons. Quelque différence qu’à mesure se révèle progrès et
perfectionnement.
Le premier rang, celle du 1837
et de Noël 1845, est formée presque exclusivement par de jeunes du peuple, qui savaient
bien tenir l’aiguille ou la louche et battre énergiquement les draps, mais
elles n’avaient beaucoup d’habileté avec les plumes et les encriers ; expéditives,
trottinant en costumes élimés et rapiécés, nourries à la mieux et plus de
mortification que de polenta, reposants sur de gros sacs de paille ou de cornets. A peu à peu, pas sans l’apport de ce saint
homme de l’abbé François Fantoni, extérieur et intérieur
se raffinent et se complètent, jusqu’à en sortir le accompli papillon de la
religieuse « comm’il faut ».
Cependant, les Mères Agées,
celle qui eurent l’empreinte du p. Louis, restèrent nettement caractérisées par
quelque qualité ou vertu : une foi ancienne, une laboriosité inlassable,
une simplicité dorée dans le faire et dans le penser (et dans le parler), une pauvreté
extrême, un esprit de sacrifice porté jusqu’à l’immolation… Ne sont pas ces-ci
les lignes du p. Louis ? Il n’y a pas dans telles
filles son « essentialité » et son « authenticité » ?
Jésus, travail, humilité et sans façon : c’est tout !
Les premiers essaims des soeurs
de la Providence
Primiero, « Fiera »
de Primiero,
aujourd’hui veulent dire beaucoup : ce sont des noms qui évoquent
des stations touristiques célèbres, fréquentées par nombreux amateurs ; la
splendeur d’un paysage de montagne et d’un air tel à faire ressusciter un mort…A
ce temps-là, c’est à dire vers 1865, il y avait toute la splendeur de la nature
et, en plus, elle était intacte, c’est à dire pas encore exploité par les
vacanciers et les skieurs, mais il n’y avait pas les routes, on ne parlait pas
d’hôtels, et la partie logistique se réduisait à une poignée de maisons en
plein escarpement, qu'on pouvait atteindre à fatigue.
Dans certains traits, pour y
arriver du sud, de Fonzano, un muletier grimpait, parmi
des routes en côte et chemins en pente, au bord de ravins superbes et de vertige :
ils étaient des vastes lames de roche et de prés qui s’adossaient les une les
autres avec un décidé mouvement de montée : après, la route devenait plus
humane et permettait même une voiture.
Le pays de Primiero
comptait un peu plus de mille âmes, une église, et même un hôpital…dans l’église
régnait, en servant, un curé à la figure originale : esprit fervent et
aussi un bel esprit, il signait ses lettres : l’abbé Joseph Sartori, doyen de Primiero, g.g.g.,
sigle qui n’était plus un mystère : il signifiait : grand, gros, gras:
« Lorsque vous verrez,
disait souvent le bon prêtre, un prêtre grand gros gras, dites que c’est le doyen
de Primiero ». Avec cela, zèle vif et bonne
humeur constante.
Et il y avait aussi un hôpital,
et on comprend bien qu’il y dût être : pour qui,
malgré l’air très salubre, tombât malade, être traîné à dos de mulet pour les
vallées et couteaux jusqu’au premier lieu civil, aurait signifié passer
automatiquement d’un déplacement thérapeutique à un transport mortuaire.
Donc : un hôpital duquel
était directeur l’abbé Joseph Sartori : et le
nombre des malades oscillait entre quatre et cinq.
Hélas, ne croyez pas que cela
fût seulement car à Primiero personne ne tombât
malade ! La raison était une autre. L’hôpital était si misérable et mal tenu
que les gens avaient dégoût à y aller. Comme assistance, un pauvre homme
lequel, seul et dépourvu des moyens de soin, il faisait ce qu’il pouvait, et il
pouvait très peu. Lorsque, dans une famille de Primiero,
se proposait l’idée de traîner quelqu’un dans ces petites chambres, un frisson éclairait
sur le dos du malade et des conjoints. Entre l’hôpital et le cimetière, on
disait, il y a une parenté serrée.
Le pauvre doyen se regrettait
par le chagrin, mais vraiment, avec les possibilités qu’il disposait, il ne
réussissait à inventer des remèdes. Voilà, quelqu’un lui parla de certaines
sœurs fondées par l’abbé Louis Scrosoppi, et ce
quelqu’un est rien de moins que le Mons. Teloni, le
grand prêcheur invité à Primiero pour une mission.
La description des sœurs fut
telle que l’abbé Sartori ne dormit pas par la grande
envie de resoudre son insoluble probleme.
Le 18 octobre il écrivit à la supérieure générale des sœurs, la mère Thérèse Fabris, en demandant de l’aide, et la demande fut accueillie.
La mère Thérèse à son tour écrivit, le 25 octobre, à l’évêque de Trento en
demandant l’approbation pontifice des sœurs et le
consentement de la part du gouvernement autrichien.
Il y avait le premier document,
et pour obtenir le deuxième s’intéressa un cousin de l’abbé Sartori
résident à Innsbruck, et tout se déroula, de la part des protagonistes de
l’événement, tambour battant: puis, la pratique s’accrocha naturellement dans
les pratiques bureaucratiques, mais, là aussi, pour peu de temps. En général, les
choses marchèrent très bien. Evidemment, soufflait le souffle de la Providence.
Le 3 février 1866 quatre soeurs,
menées par la vicaire générale, accompagnées par les
souhaits des consœurs et par les bénédictions du fondateur, partirent par Udine
pour arriver à Fonzaso. « A Fonzaso,
avait écrit l’abbé Sartori, moi je serais là avec le
train (l’âne) (…et quelle fuite en Egypte!) ».
Les souhaits, la bénédiction
avaient été émus, et les partants se sentaient un peu comme les astronaute
d’aujourd’hui : alors, il fallaient presque trois jours entiers pour se transférer
d’Udine à Primiero.
Le premier jour en train jusqu’à
Treviso, et là elles passèrent la nuit : le deuxième
jour, en diligence jusqu’à Feltre, où elle prirent le «vit » pour Fonzano : et arrivées là, elles passèrent la nuit une
autre fois. Le troisième jour, le réveil et le début de l’aventure.
Elles recherchèrent le « piéton »,
c’est à dire la guide alpine que les aurait conduites, à pieds, ou à dos d’ânes
ou mulets dans les montagnes.
Directeur de cette dernière aérienne
partie du voyage, aurait été l’abbé Sartori muni
d’animaux de bât.
Les sœurs marchèrent tant qu’elles
pouvaient, et en s’échangeant des coups d’œil sans faire des commentaires :
où est- ce qu’elles allaient ? Le paysage s’ouvrait et puis se refermait devant
elles, merveilleux, avec ses pierres et ses prés, « s’élevant » à un trait:
les bonnes sœurs regardèrent en haut, puis elles se regardèrent entre elles…
Le « treno
asinaro », c’est à dire les mulets, suivaient
l’exigu défilé et lorsque le groupe se trouva sur le raidillon, c’était le
moment de grandes décisions : il s’agissait de choisir chacune son propre
animal. Naturellement, aucune des cinq sœurs avait jamais chevauché : et
ces débuts, là, en pleine montée à la limite avec un ravin qui faisait mal à la
fantaisie, n’était pas encourageante.
Quelqu’une voulut continuer à
pieds, d’autre se firent courage : elles voyageaient pour le Seigneur, le
faisaient seulement pour lui, Il les aurait protégées.
Ainsi, une pensée d’amour divin réveilla
en elles un grand courage et la bonne humeur éclata tout à coup, dans ces âmes
candides. Au fond, tout ce que les environnait s’accordait avec le vrai fond de
leur condition d’esprit : ces monts semblaient de cristal, comme étaient cristallines
leurs intentions. Même leurs grandes privations, désormais elles avaient
compris et, comme ne pas comprendre à voir ces petits pays là-haut parmi les
roches et nuages ? Même les privations, disons, étaient justement nécessaires.
Le Seigneur, on L’aime mieux avec les faits qu’avec les mots, et il était
arrivé le moment de se sacrifier. Donc, courage et joie, surtout joie, et à se
regarder l’une l’autre, toutes amazones improvisées dans un équilibre instable
sur la selle et sur le précipice, elles éclatèrent de rire comme des filles en
promenade. Et en haut avec les éclats de rire frais comme l’air qu’elles
respiraient.
Le doyen était enchanté. Cette
annonce de caractères et d’esprits, ce premier effroi suivi par l’acceptation généreuse
jusqu’à la gaieté, remplit même en lui l’âme d’espoir. Malgré tout son innée
bonne humeur, l’abbé Sartori avait vécu des jours de
trépidation ; « qu’est-ce qu’elles diront, avait-il pensé, ces sœurs habituées
à la ville, en se voyant parmi les monts où il n’y a rien ? », et il
s’était recommandé à la Providence. Maintenant la Providence répondait, car les
sœurs étaient justement celles qui fallaient : et le bon curé, lequel
avait oeil fin et beaucoup d’expérience, repensa à la figure de ce fondateur,
Louis Scrosoppi, lequel était réussi à former et à
rassembler des âmes comme celles-là, évidemment ouvertes, où mieux, ouvertes
tout grand au sacrifice. Il loua le Seigneur, et remercia beaucoup, dans son
cœur, l’abbé Louis.
Finalement, après beaucoup d’acrobaties,
elles arrivèrent à la frontière autrichienne et récupèrent une route. Alors,
elles se sentirent des reines car elles se trouvaient installées en fiacres que
les traînaient à travers des pays appelés Imer et Mezzano. A ravir, les populations se réunirent sur leur
passage, et tirèrent des pétards tandis que les cloches sonnaient à fête :
les bons montagnards n’avaient jamais vu des sœurs de charité et les fêtaient
avec un enthousiasme émouvant.
Lorsqu’elles entrèrent à Primiero, trouvèrent des arcs triomphal de vert et des inscriptions
de souhait : un accueil de ce genre elles ne l’attendaient absolument pas.
Les gens étaient schierate en deux parties, et, lorsque le petit groupe traversait
le pays jusqu’à l’hôpital, les visages des paysans sourissaient,
et ce qui était resté à la maison, sortait, saluait, faisait « hourra ! ».
Les hôtes devaient bien sourire avec les yeux pleins de larmes.
Finalement, l’hôpital. Il n’y
avait rien. Parler de paillasses, couverture, draps, aurait été une utopie, sinon
une gaffe : et, au contraire, tout se régla en cinq sec. Les bonnes gens du
lieu, peut-être incrédules jusqu’alors que les sœurs y arrivassent, à voir que
maintenant elles y étaient vraiment, se sont mis en quatre : pour les premières
soirées les gens se disputèrent l’honneur d’accueillir les religieuses, et en
même temps préparèrent tout le nécessaire. De moins de huit jours les nouvelles
arrivées furent en mesure de s’installer dans l’hôpital—taudis, fourni au moins
du nécessaire.
Elles trouvèrent quatre patients
et l’unique assistant. Les malades se sentirent élargir l’âme à démesure, à
voir autour d’ils cinq sœurs désireuses de les soignés : il y avait de que
guérir pour la joie. Et la politesse, la douceur, la patience !... Pour ce
refuge, une nouvelle ère commença. L’abbé Sartori
exécuta rapidement les pratiques avec l’administration, les frais nécessaires
pour transformer les pauvres chambres dans un petit hôpital en pleine règle, et,
peu à peu, affluèrent les aides financières. Ils valurent des années, mais le
miracle s’avvera : les six ou septe lits se transformèrent
en soixante et tous occupés.