Adieu à la jeunesse


La chanson a été écrite par *Pierre Joseph Lejoly (1818-1891) lorsqu'il a épousé Anna Maria Seifen, à l'occasion de la fête qui a été donnée pour célébrer son adieu à la jeunesse (note 49). L'original manuscrit se trouvait en 1994 chez Lucie Jamar à Bruyères.

Le texte a été écrit pour une mélodie que nous ne connaissons pas et les rimes suivent habituellement le schéma AABBXCCDD. Il doit s'agir d'un air connu qu'on devrait pouvoir retrouver...

Le texte est en français très approximatif, ce qui s'explique par le fait que Pierre Lejoly n'avait sans doute reçu qu'une éducation assez limitée. Cependant, son écriture est belle et il est manifestement loin d'être analphabète. J'ai cru au début qu'il n'avait appris que l'allemand à l'école, et qu'il écrivait par exemple "Jeunefse" par analogie avec l'ancienne écriture gothique cursive, ou bien "vous ne m'ÿ revoyez plus", comme en allemand où on écrivait aussi Lejolÿ ou Bruÿère, pour éviter que les "Prussiens" ne prononcent Lejolÿ (en français: Leïolu) ou Bruÿère.

En fait (note 50) "le gouvernement de Berlin eut une politique linguistique tolérante jusqu'à l'avènement de Bismarck qui impose sa volonté d'unifier les "Allemagnes". Des lois sont promulguées qui imposent petit à petit l'allemand dans l'administration, le gouvernement et l'église. La germanisation de l'administration commence en 1863, celle de l'enseignement en 1873, par étapes. En 1889 le français est rayé des cours de l'école primaire. La germanisation du clergé se heurta à la résistance opiniâtre de quelques prêtres comme Joseph Bastin à Faymonville ou Nicolas Pietkin à Sourbrodt"

Il ressort de ce qui précède que Pierre Lejoly était bel et bien un francophone, mais qu'il avait manifestement quitté l'école depuis quelque temps. Sa prononciation était très wallonne, car Pierre Lejoly fait rimer cabaret avec abandonné et hautbois (haubwè). Il écrit jeunes et filles est garçons, camarates, milleu et ménaches, ce qui correspond à la pronociation en wallon.

Les wallonismes ne manquent pas non plus: cabaret pour bistrot (note 51), Adieu toutes vous jeunes filles, ouvrage pour travail, etc. On peut observer aussi qu'il vouvoie sa future femme, autre habitude wallonne.

Ce qui est surprenant, c'est le nombre d'expressions littéraires que Pierre Lejoly a utilisées: je veux porter les armes au service d'une dame, faire bonne chère, Grand prince de la débauche, Monarque de Bacchus, flûtes et hautbois, vaquer à son ouvrage... On a l'impression qu'il avait une source d'inspiration écrite quand il écrit un vers entier sans faute d'orthographe, par exemple dans que mon coeur a tant chéri.

Adieu à la jeunesse

1.
Ecoutez je vous prie, jeunes filles et garçons,
Mes adieux sans pareils à tous mes compagons.
A tous mes camarades
Avant que je ne parte,
Je vous fais mes adieux,
A toute la jeunesse
D'un coeur plein de tendresse
Je vous fais mes adieux (bis)

2.
Buvons mes chers camarades, un coup avant de dire adieu,
Car (de)dans votre compagnie, vous ne m'y reverrez plus.
Je veux porter les armes
Au service d'une dame
Que mon coeur a tant chéri
En faisant bonne chère,
Avec tous mes confrères,
Tant de jour que de nuit (bis)

3.
Grand prince de la débauche, Monarque de Bacchus
Dans votre royaume, vous ne m'y reverrez plus.
Je veux entrer dans un ménage,
Vaquer à mon ouvrage,
Tant de jour que de nuit.
Avec ma chère dame,
D'une (chaîne?) pleine de charmes
Je veux vivre et mourir. (bis)

4.
De quitter la jeunesse, je l'ai assez chérie,
De quitter la jeunesse, je n'ai plus de tristesse.
Je veux rendre mon office (note 52)
(...?)
Qui le pourront remplir
En faisant bonne chère
Avec tous mes confrères.
Tant de jour que de nuit. (bis)

5.
Adieu à la débauche, à tous les cabarets,
Le bal, aussi les danses, les flûtes et les hautbois:
A tout ce badinage,
Quand on est en ménage (note 53),
Il n'y faut plus songer.
Il faut tenir sa vie
Avec sa chère amie.
Jusqu'à l'extremité. (bis)

6.
Adieu toutes vous jeunes filles et mes chers garçons,
Je vais quitter les danses, les basses et les violons.
Je commence à regretter
Le temps que j'ai passé
Avec vous inutilement.
Il faut donc que je m'applique
A les bien réparer
Jusqu'au dernier moment. (bis)

7.
Pour vous ma chère dame j'ai tout abandonné:
Les bals, aussi les danses, les flûtes et les hautbois.
J'estimerai davantage
D'entrer dans un ménage
Avec vous seulement,
Que d'être dans la jeunesse
Au milieu des caressses
Et divertissements. (bis)

8.
Adieu donc père et mère, et aussi frères et soeur.
Je suis chagriné dans l'année, d'avoir quitté vos charmes,
Pour me mettre en ménage,
Vaquer à mon ouvrage
Avec ma chère amie.
J'ai perdu ma liberté
De vous aller aujourd'hui quitter
Pour le restant de ma vie.

Signé: Pierre Joseph Lejoly de Bruyère


Ci-dessous, la version non "corrigée":

Chansons de la Jeunnes
Ecouté je vous prie,
Jeune et fille est garçon,
Mes à Dieu sant parielle
à touts mes compagnons,
à touts mes camarates avant que je n'est part,
Je vous fait mes à Dieu,
à toute et la jeufnes,
D'un coeur pleins de tendrefse,
Je vous fait mes a Dieu, je vous fait mes a Dieu.

2me
Buvons mes cher camarate un coup avant de dire l'aDieu
Car de dans votre Compagnie vous ne m'ÿ revoyez plus,
Je veu porté les armes au Service d'unne et Dame,
que mon coeur a tant chéri,
en faisant bonne et chère,
avec tout mes confrère,
tant de jour que de nuit, tant de jour que de nuit,
3me
Grand Prince de la de bauge
Monarcle et de bacut,
dans vôtre Roiaume vous ne mi revoirez plus,
Je veux entré dans un menache,
vaquer à mon ouvrage,
tant de jour que de nuit
avec ma cher et Dame
D'une (chaine) plaine de charme,
Je veux vivre et mourir, je veux vivre et mourir

4me
De quitter la jeufnes,
Je l'ai afsez chéri
de quitter la jeunefse je n'aÿ plus de triftefse,
Je veux rendre mon offisse,
(...?)
qui le poudrant remplir
en faisant bonne et chère,
avec touts mes confrère,
tant de jour que de nuit, tant de jour que de nuit.

 

5me
A Dieu de la de bauche,
a touts les cabarets,
le balle aufsi les danse,
les flutes et les haubois,
et a tout ce badinage,
quand au ne au menage,
ÿ ni faut plus songé,
ÿ faut tenir sa vie,
avec sa cher amie
Jusqu'a l'extremite, jusqu'a l'extremite,

6me
A Dieu toute vos jeune est fille,
et mes chers garçons,
je vais quitter les dance,
les basse et les violons,
je commance a regerter,
les temps que j'ai pafse,
avec vous inutillement
ÿ faut dont que je m'aplic
à les bien reparer,
jusqu'au dernier moment, jusqu'au dernier moment

7me
Pour vous ma chere et dame,
j'ai tout abandonne
les balles aufsi les dance,
les fluts et les haubois
j'estimeroit d'avantage,
d'entree dans un menage,
avec vous seulement,
que d'ettre dans la jeunefse,
aumilleu de carefse,
et difvertisment, et de difvertisment

8me
A Dieu dont père et mère,
et aufsi frères et soeur,
je suis chagrin dans l'année,
d'avoü quitter vos charmes,
pour mes mettre en menage,
vaquer a mon ouvrage,
avec ma cher amie,
j'ai perdu ma liberté
de vous aller aujourd'hui quitter,
pour la restance de ma vie,
pour la restance de ma vie